— 292 — est moins sûr d'avoir les rieurs de son côté. Mais, quel sujet pour la satire ! La religion, instituée pour le salut éternel des hommes, pour les corriger et pour les consoler, la religion, qui enseigne l'égalité et la fraternité, cette religion devient le prétexte d'actes qui outragent tous les principes qu'elle proclame ! Et l'on peut dire que la satire de Montesquieu est à la hauteur du sujet. On ne peut imaginer une phrase plus accablante que celle-ci : < Ces brigands, qui voulaient absolument être brigands et chrétiens, étaient très dévots. » Or, on peut voir qu'au moment où Montesquieu écrivait, le souci de la religion figurait en tête du Code Noir (1). Tout le monde s'accorde à considérer le chapitre 5 comme un chef-d'œuvre satirique et comme le plus écla- tant témoignage de l'humanité de Montesquieu. Ces phra- ses, courtes et énergiques, font plus de besogne que des volumes. Montesquieu veut réunir dans ce chapitre les fausses doctrines économiques et les préjugés de l'orgueil européen pour en montrer la sottise et la cruauté. Or, au lieu de déclamer contre l'esclavage, il choisit la forme plus efficace de l'ironie. Pour finir de montrer comment l'esclavage ne peut avoir de base dans la raison, il allègue une série de raisons absurdes en sa faveur. Mais tout absurdes qu'elles soient, ces raisons sont celles qui servaient alors à justifier l'esclavage. Ce sont sans doute des arguments courants de gens du monde, des arguments qui devaient persister encore cent ans en France avant d'être définitivement vaincus. L'autorité était toujours préoccupée de la nécessité de faire valoir les terres et le commerce des colonies. Les colons, de leur côté, affirmaient que les esclaves étaient absolument indispensables. Quel spectacle pour le mora- liste que celui des peuples d'Europe qui ont déjà exter- miné des nations et qui sont en train d'en détruire d'au- tres ! Au lieu de se repentir de leurs crimes, les Européens y ajoutent d'autres, encore plus atroces. Et il faut absolument des esclaves pour assurer la fabri- (1 V. le Code de la Louisiane, Savary Desbruslons, Dictionnaire de Commerce, t. II, col. 73 et suiv.