BUFFALO. 69 cet espace de terre pour s'en disputer la possession ; tous les émigrans d'Europe à peine débarqués des canal- beats , promenaient leurs regards sur le lac Erie, qui s'étendait comme une mer à leurs pieds. Un jour j'entendis un jeune suisse demander à sa mère en pleurant, si c'était bien là son lac de Neufchâtel ; et sa mère, les yeux tournés vers l'Orient, ne lui répondit que par un soupir. De toute cette foule active il n'y avait que les Indiens qui regardassent avec indifférence ces peuples civilisés dont chaque homme venait abattre leurs vieilles forêts. Les enfans curieux circulaient le long des magasins, échangeant une peau de chevreuil pour un escalin ou quelques verroteries ; et quand on leur donnait un morceau de ruban, ils s'en paraient la tête et couraient admirer leur image en se penchant sur les eaux du canal. Je remarquai cependant un chef, dont le nez et les oreilles étaient percés et ornés de dents d'ours, qui semblait voir d'un mauvais œil tous les nouveaux venus ; les robes courtes et bariolées- des Suisses et des Alsaciennes, leur bonnet aplati sur le derrière de la tête d'où pendaient des rubans de dif- férentes couleurs, excitaient son étonnement. A la fin il s'adressa à moi en langue indienne : ne com- prenant rien aux sons gutturaux qui sortaient de cette bouche immense, je lui achetai son sac de peau de castor et sa ceinture ; mais il voulait des explications sur ces visages blancs , pales faces, comme il les ap- pelait ; et bravant la pluie qui tombait à verse, il me prit le bras pour me faire asseoir à côté de lui sur la borne d'une rue. Malgré toute la politesse française , je ne pus m'empêcher de couper court k cette sin- gulière conversation par une retraite précipitée.