Ouverture de Nouveaux
Moyens de Développement Communautaire dans le Nord de la Guinée
A
première vue, il n’offre pas grand chose au regard. Il n’est
photogénique sous aucun angle. Grossière fusion de poutres, de
barres d’accouplement et de gravier enveloppés dans un moule de
ciment, le pont qui passe au-dessus du fleuve Kouregnaki à l’extrême
Nord des Montagnes du Fouta Djallon en Guinée, est un exemple
d’architecture simplifiée, un modeste monument fonctionnel qui relie
deux sections rocailleuses de routes à une jonction rurale
tranquille située à 30 kilomètres au Sud de la frontière
Sénégalaise.
Cependant âgé de 64 ans, Ibrahim Sory Souaré voit le pont d’une
perspective différente, un point de vue formé par toute une vie
passée à cultiver les sols des régions reculées de Lansa et Badiar
en Guinée, et son évaluation de la travée de Kourégnaki suggère que
c’est une structure plus complexe qu’il n’y paraît au prime abord.
“Ce
pont est la vie”, dit Souaré.
Dans
sa jeunesse, Souaré a travaillé en qualité d’agent de vulgarisation
agricole pour le Gouvernement Guinéen. De 1962 jusqu’aux années 80,
il a aidé à révolutionner la production alimentaire de Lansa et
Badiar en apprenant aux familles de cultivateurs à diversifier leur
culture de fonio en incorporant les cultures de pommes de terre,
maïs, haricots, poivrons et tomates. Ces nouvelles cultures ont
permis d’améliorer les rendements alimentaires de manière
significative, de même qu’elles ont permis de renforcer l’équilibre
alimentaire. L’introduction de la pomme de terre qui se stockait
bien et pouvait se transporter sur de longues distances, donna
également à la région une richesse qui n’y avait jamais existé, à
savoir: une culture commerciale qui pouvait se vendre en gros à des
consommateurs lointains.
Mais
un obstacle de taille empêchait les cultivateurs de Lansa et Badiar
d’exploiter le potentiel générateur de revenus de leur nouvelle
moisson. Ce dont ils avaient besoin était un marché urbain affamé
qui achèterait leur surplus à un bon prix, et ce marché: à savoir,
la ville très animée de Kédougou située dans le Sénégal voisin et
point de vente principal vers des villes qui s’étendaient jusqu’à
Dakar, était situé vers le nord à une distance de 80 kilomètres.
Toutefois, Kédougou était également située du mauvais côté du fleuve
où n’existait pas de pont, et la seule route viable pour se rendre
au Sénégal était une déviation montagneuse rugueuse qui serpentait
250 kilomètres en direction du sud et de l’est avant de traverser la
frontière. A cette distance, les frais de transports étaient
inabordables et des centaines d’entrepreneurs potentiels étaient en
effet coupés d’opportunité économique.
La
situation se modifia en 2001 lorsque des représentants du Centre
d’Appui au Développement (CAD), une organisation Guinéenne
partenaire d’ADF, proposèrent aux chefs de la communauté locale de
les aider à identifier et satisfaire leurs besoins d’infrastructure
les plus critiques. L’ADF et le CAD avaient récemment aidé le
Gouvernement Guinéen et la Banque Mondiale à créer un modèle de
développement participatif efficace pour le nouveau Programme
d’Appui aux Communautés Villageoises (PACV) de la Guinée et la
Fondation avait accepté d’étendre son rôle de catalyseur du
développement d’infrastructure rurale en s’engageant dans l’accord
PASA
avec l’Agence Américaine pour le Développement International en
Guinée (USAID-Guinée).
Cet
accord proposait de cibler un financement de 1,25 millions de
dollars américains qui serait fourni par l’ADF (750.000 dollars) et
l’USAID-Guinée (500.000 dollars) pour réaliser une nouvelle série de
projets dans deux “poches de pauvreté” désignées, à savoir: des
régions rurales reculées ayant un accès limité aux ressources. Des
enquêtes menées par la Banque Mondiale et le PNUD ont permis
d’identifier 12 régions de la Guinée qui n’avaient jamais vraiment
bénéficié d’intervention ni du gouvernement ni de donateurs, et
l’accord PASA avait pour but de renforcer les efforts de la Guinée à
décentraliser ses programmes de développement économiques, améliorer
les initiatives de renforcement de capacités locales, et fournir une
infrastructure axée sur la demande là où on en avait le plus besoin.
Sur
la base de leurs expériences en matière d’exécution de projets de
développement participatif en Guinée (se référer à “Une Ecole pour
le développement à Bady” dans ce numéro), le personnel du CAD
s’attendait vraiment à ce que le programme des “poches de pauvreté”
de Lansa et Badiar mette du temps à démarrer. Le processus de créer
des forums communautaires effectifs qui permettent à différents
groupes de discuter ouvertement des besoins de développement locaux,
nécessitait d’habitude de minutieuses négociations avec les chefs
locaux, ainsi que de nombreuses réunions avec diverses parties
prenantes. En outre, les directeurs de programmes du CAD savaient
que les communautés locales étaient divisées par une histoire de
tensions ethniques entre les villages Foulah, Bassari et Djankanké.
Cette situation avait engendré de sérieuses préoccupations sur la
viabilité d’une approche de développement participative au Fouta
Djallon.
Mamadi Kourouma et Fodé Keita du CAD furent ainsi surpris de voir
qu’un consensus et non un conflit, les accueillit lorsqu’ils
arrivèrent pour expliquer les objectifs de ce projet. Hommes et
femmes, enfants et personnes âgées, Foulahs, Bassaris et Djankankés,
s’accordèrent tous sur le fait que la première chose à faire pour
réaliser leur nouveau projet était de construire un pont pour relier
Kédougou.
Les
chefs locaux mirent de côté leurs différences pour faire démarrer le
projet aussi vite que possible. Un chef Foulah d’un certain âge se
leva devant une assemblée mixte de villages Foulahs et Bassaris et
fit remarquer que cette assemblée représentait la première fois de
sa vie que ces groupes s’étaient réunis. Il demanda alors aux
résidents de son village “de donner la main aux Bassaris en vue de
développer notre communauté.” Lors d’une autre réunion, deux
villages dont les membres avaient évité tout contact à la suite d’un
meurtre tragique, s’accordèrent à travailler ensemble pour collecter
du sable et du gravier pour la construction de la nouvelle travée.
Les
semaines qui suivirent l’approbation du plan de construction du pont
par l’ADF grouillaient d’activité à mesure que tous travaillèrent de
longues heures pour mettre en place un nouveau pont avant la moisson
suivante. Un ingénieur du génie civil fut embauché pour concevoir
la travée et les résidents locaux fournirent le gros de la main
d’oeuvre requise pour effectuer la construction d’une structure dont
le coût final s’éleva à moins de 60.000 dollars.
Aujourd’hui, les résidents locaux à proximité du pont se sont
habitués à voir tous les jours les transports automobiles reliant
Kédougou, chargés de personnes et de produits, sortir des collines
avec fracas et traverser le pont de Kouregnaki. Ces transports s’en
retournent le soir avec des marchandises essentielles achetées au
Sénégal, ainsi que des vendeurs dont les poches sont remplies
d’argent comptant. Ibrahim Sory Souaré s’est embarqué dans une
seconde carrière en tant que chef d’une coopérative florissante de
planteurs de pommes de terre dont les 700 membres vendent 60% de
leurs produits à des acheteurs Sénégalais. Les cultivateurs
individuels gagnent à présent assez de revenus pour pouvoir envoyer
leurs enfants à l’école et les entrepreneurs locaux investissent
dans de petites entreprises qui ont transformé les villages de
montagne de Lebekerin, Touba et Madina Wora en dynamiques centres
commerciaux locaux.
Le
succès du programme de “poches de pauvreté” de Lansa et Badiar a
aidé à confirmer un des principes directeur d’ADF à savoir: que les
communautés Africaines regorgent d’experts en développement locaux
qui connaissent leurs principaux besoins et qui, si on leur donne la
possibilité de jouer un rôle central dans la prise de décision,
investiront de leurs propres temps, créativité et énergie dans
l’effort de construire un avenir plus solide pour leurs familles et
eux-mêmes. Le programme de Lansa et Badiar a également démontré
qu’une approche de développement participative est souvent le moyen
le plus direct et rentable de mettre en oeuvre des projets qui
satisfont les besoins réels et immédiats.
Au
cours des trois dernières années, le succès du projet de
construction du pont a entraîné la construction de nouvelles écoles,
de centres de santé ruraux, et de puits d’eau potable grâce aux
efforts coopératifs déployés par des voisins qui ont choisi
d’embrasser les possibilités du présent au lieu des différences du
passé (voir le graphique). Et en facilitant des efforts de
coopération étroite entre les communautés des villages de Lansa et
Badiar, le CAD et l’ADF ont contribué à la création de vastes
institutions de développement participatif qui ont le pouvoir de
relier d’anciens points de division et de fournir un cadre dynamique
de croissance durable au niveau local.
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Photo 1 (ci-dessus) :
Ibrahim Sory Souaré, le dirigeant d’une coopérative locale de
producteurs de pomme de terre de la région de Lansa-Badiar du Nord
du pays voit l’amorce d’une reprise économique avec la construction
du pont de Kédougou.
Photos 2-4
(ci-dessous) : Grâce à son appui pour la construction et la
réhabilitation des routes – demandées par les populations – dans
trois des 12 « poches de pauvreté » désignées en Guinée, l’ADF a
permis à des centaines de familles paysannes d’avoir de nouvelles
sources de revenus.
Photos 5-6 (ci-dessous) : La
réhabilitation de la place du marché dans le village de Madina Wora
illustre la portée positive du nouveau pont de Kédougou. Dans la
photo 6, un courtier achète et vend des CFA sénégalais et des francs
guinéens dans le marché de Madina Wora.
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