L'islam
au coeur d'une exposition d'art sénégalais à Los Angeles
Elle a pour but de sensibiliser le public américain.
Par
Charles Corey
Rédacteur
du "Washington File"
Washington
- Les enseignements pacifiques du Cheikh Ahmadou Bamba, un chef spirituel
musulman (1853-1927) du Sénégal, imprègnent les diverses formes artistiques
qui font partie d'une exposition spéciale du Musée Fowler, à Los Angeles,
exposition qui laisse une impression particulièrement vive.
Intitulée
"A Saint in the City : Sufi Arts of urban Senegal" (Un saint dans la
ville : les arts du soufisme au Sénégal), l'exposition a ouvert ses portes le
9 février et les fermera le 27 juillet.
Evoquant,
au cours d'une interview au "Washington File" les nombreuses années nécessaires
à l'organisation d'une telle exposition, Mary Nooter Roberts, directrice
adjointe et conservatrice du Musée Fowler, a expliqué qu'il n'avait pas été
prévu que l'exposition coïnciderait avec une période aussi incertaine de
l'histoire et que celle-ci revêt un caractère d'autant plus poignant à cause
du message de paix dont elle s'imprègne.
Ahmadou
Bamba était un adepte du soufisme, doctrine mystique de l'islam. Il avait opposé
une résistance pacifique à l'oppression des autorités coloniales françaises.
Un mouvement important au Sénégal, baptisé "la confrérie mouride",
repose sur ses enseignements qui font ressortir la dignité et le caractère
sacré du travail. Le mouridisme est l'une des quatre formes de soufisme au Sénégal
et l'une de celles qui influencent le plus la vie sociale contemporaine dans ce
pays.
"La
poésie et le travail d'Ahmadou Bamba sont des messages que les gens semblent
vraiment vouloir entendre à l'heure actuelle", a souligné Mary Roberts.
L'exposition
surprend ses visiteurs qui ignoraient que cette forme artistique existait.
"C'est une façon tellement différente de regarder l'art africain. Elle ne
ressemble en rien aux expositions d'art traditionnel africain que nous voyons
dans beaucoup de musées, et il ne s'agit pas vraiment d'art populaire non plus.
C'est en fait regarder l'expression d'une créativité florissante qui prend ses
racines dans des enseignements particuliers et des préceptes
philosophiques", a-t-elle expliqué.
L'un
des objectifs plus généraux de l'exposition, a-t-elle dit, est de montrer aux
peuples du monde le dynamisme de la vie urbaine en Afrique occidentale. C'est
l'une des premières expositions portant essentiellement sur le Sénégal, mais
aussi sur l'Afrique urbaine, et elle montre dans quelle mesure le Sénégal a
renforcé son indépendance par le truchement des enseignements d'Ahmadou Bamba,
à la fois héros local et saint.
Evoquant
aussi l'exposition, Allen Robert, directeur du Centre d'Etudes James Coleman et
professeur au département "arts et cultures du monde" à l'université
de Californie à Los Angeles (UCLA), a souligné l'à-propos du message que
cette exposition transmet en ce qui concerne l'islam en général, l'islam en
Afrique, et l'intérêt que les Américains portent à cette religion.
"Beaucoup
de musulmans ont le sentiment que les Etats-Unis veulent malmener tous les
musulmans de la terre. L'exposition transmet un message différent, et c'est que
les Etats-Unis respectent l'islam, que beaucoup de gens espèrent que le monde
restera en paix", a-t-il dit.
Les
oeuvres de neuf éminents artistes, toutes représentant un genre artistique
différent, sont exposées, a précisé Mary Roberts.
"Lorsque
vous entrez dans l'exposition, de grandes reproductions de peintures murales
d'un artiste surnommé "Papisto Boy" vous accueillent. Ce dernier a réalisé
une peinture remarquable longue d'environ 400 mètres sur les murs extérieurs
d'une cour d'usine, dans un quartier industriel de Dakar.
"Sur
ce mur, il a peint toute une panoplie de héros du mouvement en faveur des
droits de l'homme, allant de Martin Luther King à Nelson Mandela, toujours sous
l'oeil vigilant de Saint Bamba, car pour lui, chacun de ces personnages, qui
d'une façon ou d'une autre s'est battu pour la liberté ou a été un messager
de la paix, représente aussi un message du saint, car tous ont participé de la
même façon à la paix dans le monde", a-t-elle expliqué.
Diverses
formes artistiques vous attendent ensuite, allant de l'art populaire à l'art
religieux, en passant par des calligraphies, des textiles et des arts
contemporains aux couleurs vives.
L'un
des points forts de nombreuses expositions organisées par le Musée Fowler est
la reconstruction de scènes locales.
L'habitation
d'un marabout a notamment été recréée pour celle-ci, avec sa salle de réception
où les fidèles viennent prier tous les après-midi et où les murs sont
couverts de portraits d'Ahmadou Bamba et de ses descendants, de même qu'une rue
de Dakar avec ses kiosques, un étal de boulanger, une table d'optométriste,
des peintures sur verre, des piles de cassettes et une librairie où l'on peut
acheter des livres de poèmes d'Ahmadou Bamba.
La
diffusion de clips vidéo permet aux visiteurs de comparer les scènes recréées
pour l'exposition à des scènes sur le terrain au Sénégal.
A
un autre endroit de l'exposition, le patrimoine de l'islam en Afrique depuis le
VIIIe siècle, cent ans seulement après la mort de Mahomet, est présenté dans
une galerie. Là sont exposées des peintures sur verre d'artistes mourides représentant
les origines communes de l'islam, du christianisme et du judaïsme avec Adam et
Eve, l'arche de Noé, le sacrifice d'Abraham, tandis que des objets, tels que
talismans, vêtements et sculptures montrent comment les préceptes de l'islam
se mêlent harmonieusement aux us et coutumes de l'Afrique subsaharienne.
Des
passages voûtés conduisent à une zone où les visiteurs peuvent regarder des
scènes illustrant la vie et l'oeuvre d'Ahmadou Bamba, de ses descendants, et de
ses disciples.
Lorsqu'on
lui a demandé quel était le message souhaité de cette exposition, Allen
Roberts a répondu : "En gros, nous aimerions montrer aux Américains que
l'islam est très important en Afrique et qu'il a de nombreux visages.
"A
l'instar de toutes les autres grandes religions, le meilleur exemple étant le
catholicisme, l'islam comprend des principes qui s'appliquent universellement et
d'autres localement. L'islam au Sénégal n'est donc pas le même que l'islam
dans le reste du monde, pas plus que l'expression du catholicisme au Mexique
n'est semblable à celle du catholicisme en Italie. Nous aimerions aider les
gens à comprendre les diverses formes d'islam et, en particulier, à reconnaître
que de nombreux éléments de l'islam sont très pacifiques."
Et
d'ajouter : "Ce message est tiré des enseignements du Saint, d'Ahmadou
Bamba, qui est au centre du mouvement mouride que nous avons étudié au Sénégal."
Ahmadou
Bamba, a-t-il souligné, était un pacifiste qui ne mâchait pas ses mots et qui
avait dit que la seule lutte qu'il mènerait serait contre les imperfections de
son âme. "Même si les autorités coloniales françaises le persécutaient,
il ne voulait pas fomenter la violence afin de contrecarrer leur oppression
(...)"
"Ahmadou
Bamba est mort en 1927 et a vécu durant les premières années de l'époque
coloniale, mais depuis quelques années, il est devenu un symbole national pour
les Sénégalais, transcendant de bien des façons les limites des quatre formes
de soufisme qui existent dans ce pays, car sa philosophie et les enseignements
qu'il a laissés ont permis aux populations d'avoir une philosophie de la vie
pratique et positive", a ajouté Mary Roberts.
Il
avait une éthique du travail semblable à celle des protestants, des
calvinistes, a-t-elle expliqué, et on lui attribue la maxime suivante :
"Travaillez comme si jamais vous n'alliez mourir et priez comme si vous
alliez mourir demain."
Selon
elle, la plupart des Américains ignorent combien de personnes sont de foi
musulmane aux Etats-Unis : quatre millions environ. "Déjà en Californie
du Sud, le nombre de musulmans est supérieur à celui des juifs, un phénomène
qui se généralisera dans tout le pays d'ici à 2010."
La
"National Endowment of Humanities" a financé cette exposition du musée
Fowler qui fait aussi l'historique de l'islam au Ghana, au Tchad, au Soudan, en
Guinée, au Nigeria, au Mali et en Tanzanie.
Aussi
bien Mary Roberts qu'Allen Roberts ont exprimé l'espoir que l'exposition pourra
être montrée dans plusieurs villes où existent de grandes collectivités
issues de la diaspora mouride, notamment à Washington, New York, Atlanta, Détroit,
Chicago et Cincinnati. Ne serait-ce qu'à New York, ont-ils précisé, il y a
entre 20.000 et 40.000 Mourides.