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Sujet du Prisonier du Guantanamo

Points de droit concernant la guerre contre le terrorisme

John B. Bellinger, III
London School of Economics
31 octobre 2006

Remarques préliminaires

Je vous remercie pour cette généreuse présentation.  Je suis particulièrement sensible à l’honneur qui m’est fait aujourd’hui et vous sais gré de m’offrir ainsi l’occasion de prendre la parole à la London School of Economics, et de rencontrer tant de collègues.  Ma reconnaissance s’adresse également au Projet de droit humanitaire international de cette Ecole, ainsi qu’à la Law Society Charity qui a organisé et appuyé cette manifestation.  Cette institution de renommée mondiale constitue en effet un cadre de choix pour échanger nos points de vue sur les questions brûlantes et essentielles qui se posent dans la guerre contre le terrorisme.

Introduction

Au cours de l’an dernier, j’ai eu des entretiens approfondis et réguliers avec certains représentants des gouvernements européens, dans le but de présenter la législation et les politiques des Etats-Unis en matière de contre-terrorisme, en particulier celles qui concernent la détention, l’interrogation, et le transfèrement de membres d’Al-Qaida et du Taliban.  Pendant la même période, le cadre juridique américain régissant la détention et le traitement des détenus a connu une évolution significative, avec notamment l’adoption de la Loi relative au traitement des détenus en décembre 2005, la décision de la Cour suprême dans l’affaire Hamdan en juin, le transfèrement de 14 chefs d’Al-Qaida à Guantanamo en septembre, l’annonce des nouvelles politiques de détention suivies par le Département de la Défense en septembre, et la promulgation de la Loi relative aux Commissions militaires au début de ce mois-ci.  Il m’a été pénible de constater que tant de mythes et de malentendus sur les politiques des Etats-Unis continuent à proliférer. 

En dialoguant avec les Gouvernements de l’Union européenne l’an dernier, j’ai essayé d’élucider certains de ces mythes et de répondre aux questions qui troublent les Européens.  Ce soir, je souhaiterais vous présenter en public une explication globale de notre point de vue juridique et de nos décisions sur les politiques générales concernant la détention et le traitement des terroristes, en montrant leur évolution aux Etats-Unis depuis le 11-Septembre.

Ce faisant, je vous inviterai à réfléchir à quatre questions.  Premièrement, si les conditions juridiques applicables à la détention de terroristes internationaux sont aussi limpides que certains critiques le pensent, comment se fait-il que ces mêmes critiques soient incapables de s’entendre entre eux pour savoir si nous devrions traiter les détenus comme combattants conformément au droit de la guerre, ou comme suspects d’un crime, conformément au droit des droits de l'homme.  En discutant avec les Européens, je me suis aperçu que nos critiques peignent souvent le droit « tel qu’il devrait être », selon eux, et non pas tel qu’il est aujourd’hui.  Deuxièmement, même si vous n’êtes pas toujours d’accord avec chaque point de notre analyse, j’espère que vous vous rendrez compte que nous avons beaucoup réfléchi à toutes ces questions, et sommes convaincus de la solidité juridique de nos arguments.  En effet, pour ce qui est des règlements, nous n’avons pas ignoré ceux qui sont en vigueur, et nous n’en avons pas inventé de nouveaux. 

Troisièmement, chaque fois que vous contestez notre approche, je vous invite à vous demander s’il existe une solution de rechange réaliste au problème, et si elle fonctionnerait mieux dans la pratique.  Pour terminer, je vous demanderai de réfléchir pour savoir si les cadres juridiques en vigueur établis par les Conventions de Genève de 1949, ainsi que le droit pénal interne, sont bien adaptés pour riposter au terrorisme international au 21ème siècle. Je tiens à l’affirmer très clairement :  je ne prône pas le mépris des règlements en vigueur, car ils jouent encore un rôle essentiel dans les situations pour lesquelles nous les avons créés ; je ne suggère pas non plus que les Etats-Unis éprouvent maintenant le besoin de négocier un nouvel instrument sur ces questions, mais je suggère, comme John Reid, le secrétaire à la Défense britannique l’a fait l’an dernier, qu’il faut sérieusement nous demander si nous devrions procéder à de nouveaux travaux sur le droit.

I.  La guerre constitue un paradigme approprié pour le conflit

Pour commencer, je voudrais d’abord examiner la question de savoir s’il était normal et légal au départ pour les Etats-Unis de détenir des membres d’Al-Qaida et du Taliban, dont certains se trouvent maintenant à Guantanamo.  La majorité des détenus de Guantanamo ont été capturés à la fin 2001 ou au début 2002 sur le territoire afghan ou à proximité, par les forces américaines ou par nos alliés.  Il devrait être évident que les opérations menées par les Etats-Unis et leurs alliés en Afghanistan pendant cette période ont constitué un recours à la force militaire dans le cadre d’une action menée en accord avec le droit de légitime défense, par opposition à une opération massive de nature policière.  Nous nous trouvions en effet dans une situation légale de conflit armé avec Al-Qaida et le Taliban, donc régie par le droit de la guerre.

Pourquoi avions-nous le droit de recourir à la force militaire ? Notre action était justifiée à titre de légitime défense contre les talibans, parce qu’ils avaient autorisé Al-Qaida à utiliser l’Afghanistan comme base pour préparer leurs attaques et abriter leurs camps d’entraînement au maniement des armes, et qu’ils refusaient d’obliger ce groupe à cesser ses activités.  Les services de renseignement nous ont appris qu’Oussama ben Laden, ses principaux collaborateurs et de nombreux autres membres d’Al-Qaida avaient trouvé refuge dans divers camps d’Al-Qaida en Afghanistan.  Nous avons donné aux talibans l’occasion de livrer ces fugitifs, mais quand ils ont refusé, nous avons engagé des opérations militaires contre eux.

En outre, le droit de légitime défense justifie manifestement notre recours à la force militaire contre Al-Qaida, qui n’est pas un état nation, mais qui a planifié et réalisé des attentats violents caractérisés par une ampleur, une dimension et une sophistication qui étaient jusqu’alors l’apanage des états nations.  Ses chefs avaient explicitement déclaré la guerre aux Etats-Unis et ses membres avaient attaqué nos ambassades, nos navires militaires, notre centre financier, notre GQG militaire et notre capitale, faisant ainsi plus de 3000 morts.  Al-Qaida avait aussi une structure de commandement militaire et des complices dans le monde entier.  Dans notre perspective, ces faits appuyaient pleinement notre décision, et nous avions le droit de riposter à titre de légitime défense, tout comme nous l’aurions fait si un état avait ainsi agi contre nous.

Nous ne sommes pas les seuls à penser que nos interventions contre Al-Qaida et les talibans étaient justifiées en droit international, en vertu du droit de légitime défense.  Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a reconnu le droit des Etats-Unis à agir à ce titre afin de riposter aux attentats du 11 Septembre, tout comme l’OTAN l’a fait en invoquant, pour la première fois de son histoire, les dispositions du Traité de l’Atlantique Nord concernant la légitime défense collective.

Qui plus est, si nous n’avions pas eu le droit de recourir à la force contre Al-Qaida et les talibans, nous n’aurions eu aucun moyen acceptable de défendre nos concitoyens après l’attaque la plus dévastatrice que notre pays ait jamais connue sur son sol.  Vu que les talibans ont refusé de coopérer avec la communauté internationale afin de traduire en justice les auteurs de l’attentat du 11 Septembre, il semble irraisonnable d’arguer que le seul recours dont disposaient les Etats-Unis aurait été de présenter des protestations diplomatiques ou des demandes d’extradition à Mullah Omar.

Tel est donc mon premier point: bien que certains Européens estiment que les Etats-Unis ne sont pas en guerre, il est évident qu’aux termes du droit international, notre pays est engagé, ainsi que ses alliés, dans un conflit armé, et non une intervention de police, contre Al-Qaida et les talibans en Afghanistan, dans le cadre de mesures légales relevant du droit de légitime défense contre une attaque armée ; le droit de la guerre s’applique donc dans ce cas.

Puisque les Etats-Unis étaient plongés dans un conflit armé avec Al-Qaida et les talibans, nous et nos alliés avons agi selon les règles en détenant des individus qui combattaient dans le conflit.  C’est en effet l’un des préceptes les plus fondamentaux du droit des conflits armés que les états sont autorisés à détenir des combattants ennemis jusqu’à la fin des hostilités.  Il ne serait pas raisonnable d’arguer que les Etats-Unis et leurs alliés avaient le droit de recourir à la force en Afghanistan, mais non celui de détenir certains individus dans le cadre de cette action, à moins de prévoir de les accuser d’une infraction majeure.  Notre Cour suprême a explicitement indiqué que les Etats-Unis avaient le droit de détenir des combattants ennemis dans le cadre de leur droit de recourir à la force.
Certains de nos critiques admettent que nous étions en guerre contre les talibans et Al-Qaida en Afghanistan en 2001 et 2002, et que, dans le cas d’au moins certains détenus, la détention était justifiée par le droit de la guerre. Ils affirment cependant que ce conflit a pris fin en juin 2002 avec la création du nouveau Gouvernement afghan, et que le fondement juridique sur lequel nous nous appuyions pour détenir ces personnes a donc disparu en même temps.

Cette affirmation ne correspond pas du tout à la réalité sur le terrain.  Les talibans, soit le même groupe que nous combattonsdepuis le début, continuent à se battre contre les forces des Etats-Unis et de la coalition en Afghanistan.  Nous considérons que le conflit afghan actuel est la continuation du conflit qui a commencé en 2001, ce qui fait que les Etats-Unis ne sont pas tenus de relâcher les détenus talibans qui se trouvent maintenant en Afghanistan ou à Guantanamo, pour les voir simplement rentrer dans leur pays et tuer des soldats américains ou de la coalition.  Quiconque n’est pas d’accord là-dessus devrait réfléchir que les opérations de combat de ces derniers mois ont fait des centaines de morts parmi les combattants talibans et plusieurs morts parmi les soldats européens et canadiens.
Ce qui est aussi très important pour nous, c’est que nous considérons que les Etats-Unis étaient engagés dans un conflit armé avec Al-Qaida, et continuent à l’être, mais un conflit distinct, tant du point de vue conceptuel que juridique, de celui qui les oppose aux talibans en Afghanistan.  Il ne serait pas raisonnable d’arguer que le conflit avec Al-Qaida a pris fin avec la fermeture de ses camps d’entraînement et l’intronisation d’un nouveau gouvernement en Afghanistan.  Les opérations d’Al-Qaida contre les Etats-Unis et leurs alliés continuent non seulement en Afghanistan et dans la région, mais dans d’autres endroits dans le monde.  Ainsi donc, puisque nous sommes en état permanent de conflit armé avec Al-Qaida, nous avons juridiquement le droit de continuer à détenir les membres de cette organisation qui ont été capturés dans ce conflit.

Je sais que beaucoup d’Européens pensent que nous ne sommes pas en guerre avec Al-Qaida, et croient encore moins à une « guerre mondiale contre le terrorisme ».  Permettez-moi de prendre quelques instants pour vous expliquer ce que nous entendons par cette expression, car je sais qu’elle gêne les Européens.  Pour nous, cela ne signifie pas que nous soyons juridiquement en état de guerre avec tous les groupes terroristes de la planète, mais que tous les pays doivent s’opposer fermement au terrorisme sous toutes ses formes et le combattre partout dans le monde entier.  Quand cette expression est ainsi comprise, je pense que personne en Europe ne s’opposerait à un tel objectif.

Nous jugeons être dans un état juridique de conflit armé avec Al-Qaida, pour les motifs indiqués plus haut.  J’aimerais maintenant répondre aussi à deux arguments que j’entends souvent repris pour dire qu’il n’est pas correct de décrire ce conflit comme une guerre.  Premièrement, certains affirment qu’il ne peut y avoir d’état juridique de conflit armé qu’entre deux états nations et qu’un état n’a pas le droit de recourir à la force contre une entité qui n’est pas un état.  Une telle affirmation est incorrecte.  Les guerres civiles, qui se produisent entre un état et un acteur non étatique, ont compté parmi les conflits les plus sanglants des dernières années.  Les règles internationales sur le droit de recourir à la force, notamment ceux qui figurent à l’article 51 de la Charte des Nations unies, ne font pas de différence entre une attaque armée par un état et une attaque armée par une autre entité, ce qui semble logique : Le principe du droit de légitime défense autorise un Etat à prendre les armes pour protéger ses citoyens contre le recours extérieur à la force, d’où qu’elle vienne.  Il est vrai que par le passé, la plupart des guerres opposaient des Etats, ou se déroulaient dans les limites territoriales d’un seul Etat, mais cela s’explique par les limites technologiques du conflit militaire, et non par les règles juridiques.

Ce principe n’est pas moins vrai quand un acteur non étatique lance des attaques contre un état à partir d’une base située en-dehors du territoire de cet état.  Plus d’un siècle de pratique entre états soutient la conclusion qu’un état peut riposter à de tels attentats par la force militaire, à titre de légitime défense, du moins quand l’Etat qui sert de base ne veut ou ne peut prendre des mesures afin de mettre fin à ces activités.  On l’a vu notamment dans la célèbre affaire du Caroline en 1837, quand les troupes britanniques basées au Canada ont pénétré sur le territoire des Etats-Unis et ont mis le feu à un navire qui était utilisé par des citoyens américains privés pour soutenir des rebelles canadiens ; ce qui a fait deux morts parmi les Américains.  Même les traités sur le droit de la guerre qui régissent le traitement des détenus en cas de conflit armé envisage les conflits entre états et acteurs non étatiques.  De fait, tout pays qui est partie au Premier Protocole additionnel des conventions de Genève, qui régit certains conflits avec des groupes engagés dans des guerres de libération nationale, a implicitement reconnu qu’un état peut se trouver en conflit avec un acteur non étatique.

Le deuxième argument que j’entends est que, s’il pouvait être justifié que les Etats-Unis aient eu recours à la force contre al-Qaida, et qu’ils aient détenu des membres de ce groupe en Afghanistan, il est illégal qu’ils agissent de même en dehors de l’Afghanistan.  Cet argument semble plus motivé par la peur des implications concernant l’ampleur éventuelle du conflit que par le poids juridique réel ou la logique.  Il vaudrait mieux pour nous tous qu’al-Qaida se limite lui-même au territoire afghan, mais malheureusement, telle n’est pas la réalité.  Il n’existe aucun principe de droit international qui limite le pouvoir d’un Etat d’exercer son droit de légitime défense à un seul territoire, quand la menace vient aussi bien de zones situées en dehors de ce territoire.  Je l’affirme très nettement: loin de moi l’idée de soutenir que, puisque nous sommes toujours en conflit armé avec Al-Qaida, les Etats-Unis sont libres de recourir à la force militaire contre ce groupe dans tout état où l’un de ses membres pourrait chercher refuge.  L’armée américaine ne projette certes pas d’abattre des terroristes dans les rues de Londres.  Dans la pratique, cependant, un Etat doit être responsable d’empêcher les terroristes d’utiliser son territoire comme base pour lancer leurs attaques.  En outre, d’un point de vue juridique, quand un Etat ne veut ou ne peut agir, l’Etat menacé pourrait licitement avoir recours à la force à titre de légitime défense afin de parer à la menace.

Quant à ceux qui ne seraient peut-être pas d’accord, j’aimerais leur demander de réfléchir aux autres solutions possibles.  Si les terroristes résolus à nuire aux civils trouvent refuge dans un état qui est incapable ou qui refuse d’agir contre eux, quels choix reste-t-il à l’Etat dont la population civile est ainsi en danger ?  Si nous déterminons à partir d’où Ben Laden a planifié ses attentats contre les Etats-Unis, mais que l’Etat où il opère ne puisse ou ne veuille pas intervenir contre lui, que feriez-vous à la place des Etats-Unis ? Si des terroristes organisaient et lançaient des attentats contre la Grande-Bretagne à partir d’une base située en dehors du territoire britannique, dans un Etat qui serait incapable ou refuserait d’intervenir contre les terroristes, est-ce que la Grande-Bretagne resterait sans rien faire ?

Une des raisons pour lesquelles nos critiques refusent si vigoureusement d’admettre que nous avons été et sommes encore dans un état juridique de guerre est qu’ils craignent qu’en l’admettant, ils donneraient carte blanche aux Etats-Unis pour faire ce qu’ils veulent dans leur lutte contre Al-Qaida.  Pourtant, reconnaître qu’un Etat a le droit de prendre certaines mesures de légitime défense n’est pas lui donner carte blanche pour riposter à la menace terroriste.  Un Etat qui agit à ce titre doit en effet respecter la Charte des Nations Unies et les principes fondamentaux régissant le droit de la guerre. Quant au point de savoir s’il peut légitimement avoir recours à la force, cela dépend de divers facteurs, notamment la nature et les capacités de l’acteur non étatique ; les tendances des activités de cet acteur non étatique, ainsi que le niveau de certitude dont dispose un Etat sur l’identité de ceux qu’il projette de cibler.  Cela dépendra aussi de l’Etat qui sert de base à l’acteur non étatique pour lancer ses attaques, et plus précisément, si cet Etat consent à des interventions de légitime défense sur son territoire, ou s’il est désireux et capable d’empêcher de futures attaques.  Au lieu de suggérer que le recours à la force contre Al-Qaida, notamment la détention de ses membres, est illégitime, il serait plus logique d’examiner dans quelles conditions un Etat peut recourir à la force et à la détention.

Les opérations de police ne suffisent pas

Permettez-moi aussi de vous demander s’il existe une solution de rechange réaliste, plutôt que de se fier aux règles de base qui ont été élaborées pour le conflit armé afin de servir de guide en cas de conflit avec des terroristes, quand un Etat doit recourir à la force militaire pour en triompher.  Par exemple, certains critiques affirment que le modèle à retenir est le modèle des opérations de police, mais est-ce que faire appel uniquement aux personnels des forces de l’ordre et à la coopération traditionnelle en ce domaine aurait vraiment suffi à empêcher Al-Qaida de préparer et d’exécuter ses attentats dans le monde entier et aux Etats-Unis, surtout en l’absence d’un Gouvernement fonctionnant à plein régime en Afghanistan ? Si nous avions suivi uniquement ce modèle, nous n’aurions pas pu recourir à la force contre les talibans et Al-Qaida en Afghanistan.  Si au contraire nous avons eu raison de recourir à la force, comme nous le pensons, il n’aurait pas été faisable de ne détenir que les membres des talibans et d’Al-Qaida qui étaient immédiatement soupçonnés de crime.

Qui plus est, même si nous avions voulu traduire en justice devant nos tribunaux civils ceux que nous avions capturés en Afghanistan, la plupart des détenus qui se trouvent actuellement à Guantanamo ne peuvent pas comparaître devant des tribunaux américains parce que le droit pénal des Etats-Unis ne couvrait pas leurs activités en Afghanistan, à l’exception évidente des auteurs de crimes de guerre particuliers.  Il en va de même pour la législation britannique, ce qui explique entre autres pourquoi le Royaume-Uni n’a pas pu engager de poursuites pénales contre ses ressortissants revenant de Guantanamo.  Au cours de ces dernières années, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et d’autres pays ont promulgué de nouvelles lois pénales dotées d’un champ d’application extraterritorial élargi, mais cela ne nous aide pas à poursuivre les détenus de Guantanamo devant nos tribunaux civils, parce que les lois pénales ne peuvent pas avoir d’effet rétroactif.

Même quand les combattants d’Al-Qaida que nous avons trouvés en Afghanistan ont enfreint le droit américain, d’importants obstacles procéduraux empêchent de les faire comparaître devant un tribunal fédéral des Etats-Unis.  Par exemple, les règles de procédure pénale des Etats-Unis exige un relevé précis de la garde des preuves ; or, nous n’aurions pas pu demander à nos soldats de saisir, de mettre sous scellés et de transporter des éléments de preuve en Afghanistan comme le font les officiers de police dans nos propres pays, et il aurait été impossible de les retirer du champ de bataille en Afghanistan pour témoigner devant le tribunal au sujet de la collecte de ces preuves, ce qui est tout à fait incompatible avec une mission militaire.

Je sais assurément que plusieurs pays européens ont été en mesure de lutter contre des groupes terroristes sur leur territoire respectif en se servant de leur droit pénal interne, sans recourir au droit humanitaire international, mais ces groupes étaient différents d’Al-Qaida, puisqu’en particulier, leurs membres se trouvaient physiquement présents et opéraient principalement au sein des frontières de ces pays européens, où ils pouvaient être poursuivis par des membres des forces de l’ordre existantes et étaient soumis au droit pénal en vigueur.  En outre, les éléments de preuve pertinents et les témoins à charge se trouvaient eux aussi en Europe.

Cela ne veut pas dire que la force militaire et le droit de la guerre constituent la seule méthode satisfaisante ou légale pour lutter contre le terrorisme international en général, ou contre Al-Qaida en particulier. Cela ne veut pas dire non plus que les méthodes de contre-terrorisme qui utilisent les forces de l’ordre devraient être mises de coté parce qu’elles ne sont pas faciles à appliquer.  Nous comprenons que d’autres pays, tels le Royaume-Uni, l’Allemagne, et l’Espagne peuvent être en mesure de continuer à se servir de leur droit pénal pour poursuivre les membres d’Al-Qaida.  De fait, les Etats-Unis eux-mêmes continuent à faire de même pour poursuivre des membres d’al-Qaida comme Zacharias Moussaoui, mais nous pensons qu’il était et qu’il est toujours faisable et légalement autorisé de recourir à la force militaire et d’appliquer le droit de la guerre, au lieu d’adopter une méthode utilisant le droit pénal, afin d’intervenir dans certains cas impliquant des membres d’Al-Qaida.

II.  Les règles du conflit

Comme je l’ai indiqué plus haut, le cadre juridique international ne convenait pas vraiment pour répondre aux événements du 11-Septembre, mais suggérer que les Etats-Unis se servent du cadre de la guerre pour éviter d’appliquer les règlements juridiques et placer les détenus dans une situation de « trou noir juridique » est une erreur à plusieurs niveaux.  Depuis le 11-Septembre, nous avons mis au point un cadre de droit de la guerre qui nous permet de détenir, d’interroger et de poursuivre quelqu'un de manière parfaitement conforme à l’article 3 commun aux Conventions de Genève, qui représente la norme que la Cour suprême des Etats-Unis a récemment appliquée à titre de droit des traités à notre conflit avec Al-Qaida.

Statut des détenus

J’aimerais maintenant vous expliquer le raisonnement qui sous-tend les positions juridiques initiales des Etats-Unis concernant le statut des détenus membres d’Al-Qaida ou des talibans.  Nos premiers critiques ont suggéré que nous avions omis d’appliquer les Conventions de Genève parce que nous n’avons pas traité les prisonniers comme prisonniers de guerre conformément à ces conventions.  Or, cet argument méconnaît la structure et les conditions desdites Conventions.
La troisième Convention de Genève ne stipule pas que tous ceux qui prennent les armes sur un champ de bataille doivent bénéficier du statut de prisonnier de guerre en cas de capture.  L’article 2 commun aux Conventions limite leur champ d’application aux conflits armés entre au moins deux hautes parties contractantes.  En conséquence, l’essentiel des protections de la Troisième Convention, notamment le statut de prisonnier de guerre, est limité aux belligérants engagés dans un conflit armé international entre Etats.  La décision de la Cour suprême des Etats-Unis, dans l’affaire Hamdan, montre que le conflit entre les Etats-Unis et Al-Qaida n’est pas un conflit armé international, ce qui fait que, d’après la structure de la Convention, les combattants d’Al-Qaida qui sont capturés n’ont pas droit aux protections relatives aux prisonniers de guerre.

En ce qui concerne le Taliban, qui était à l’époque le Gouvernement de facto d’un pays partie aux Conventions de Genève, le texte de l’article 4 de la Troisième Convention de Genève établit clairement que ses combattants ne peuvent pas non plus être considérés comme prisonniers de guerre proprement dits, car le Taliban ne correspond pas aux conditions de l’article, vu que ses combattants ne portent pas d’armes ouvertement, ne portent pas un uniforme reconnaissable à distance et ne respectent pas le droit ni les coutumes de la guerre.  Ils sont au contraire des « combattants illégaux » selon une expression qui n’a pas été inventée par l’administration Bush mais qui est reconnue depuis longtemps par le droit international et utilisée dans les traités européens. Ironiquement, même si nous avions décidé de traiter les membres du Taliban et d’Al-Qaida comme des prisonniers de guerre, à titre de droit ou de politique générale, les Conventions de Genève ne nous obligent pas à les traduire en justice ni à les libérer.

Bien que les Etats-Unis ne soient pas obligés de traiter ces détenus comme prisonniers de guerre, de les traduire en justice ni de les libérer, cela ne signifie pas qu’aucune règle juridique applicable ne régit leur détention.  Depuis les cinq dernières années, notre Pouvoir exécutif, notre Congrès et nos tribunaux ont élaboré un cadre global de règlements législatifs et de procédures administratives afin de régir la détention, le traitement, l’interrogation et le procès de personnes soupçonnées d’appartenir à Al-Qaida et au Taliban, et qui ne sont pas visées par d’autres lois.

Premièrement, notre Pouvoir exécutif a établi certaines procédures afin de garantir que nous détenons ceux qu’il faut.   Nous savons que les critiques nous ont souvent demandé : « Comment savez-vous que les individus que vous détenez appartenaient au Taliban ou à Al-Qaida ? De nombreux détenus proclament qu’ils se trouvaient simplement au mauvais endroit au mauvais moment. »  Certes, il était difficile d’identifier les membres du Taliban et d’Al-Qaida, puisque, contrairement à une guerre traditionnelle, ils ne portaient ni uniformes ni insignes.  Cependant, nos soldats se sont donné beaucoup de mal pour ne retenir en détention que ceux qui s’étaient réellement engagés dans le combat, ou dont nous avions des motifs valables de croire qu’ils s’y étaient engagés, ou qu’ils faisaient partie d’Al-Qaida.  Quand nos troupes arrêtent quelqu'un qui après vérification s’avère ne pas être un combattant, nous le relâchons, ce qui arrive dans toutes les guerres.

Afin de garantir que nous détenons ceux qu’il faut, chaque détenu de Guantanamo voit son cas examiné par un Tribunal d’examen du statut du combattant officiel (Combatant Status Review Tribunal, CSRT), qui détermine s’il est correct de le classer comme combattant ennemi.  Ce détenu bénéficie de l’aide d’un officier militaire, a le droit de présenter des éléments de preuve, et de faire appel de la décision du CSRT devant nos tribunaux fédéraux.  Il est simplement faux d’affirmer que les détenus n’ont pas et n’auront pas accès auxdits tribunaux pour statuer sur leur détention.  De fait, certains ont même été relâchés à la suite de cette procédure.

Dans le cas des détenus dont les Etats-Unis n’ont pas l’intention de les traduire devant une commission militaire, leur cas passe chaque année devant un Conseil de révision administrative (ARB), qui décide s’il est possible de les relâcher ou de les transférer sans poser de risque grave aux Etats-Unis ou à leurs alliés.  Nous savons qu’il existe certaines préoccupations quant à la nature indéterminée du conflit avec Al-Qaida et donc quant à une détention indéterminée.  Les Conseils de révision administrative s’efforcent donc de répondre à ces préoccupations en mettant en balance d’une part, notre droit de détenir les combattants de façon à ce qu’ils ne reprennent pas le combat contre nous, et d’autre part, notre volonté de ne détenir personne plus longtemps qu’il ne le faut.  A ce jour, environ 75 détenus ont été relâchés ou transférés conformément à la procédure des ARB.  Ce que je voudrais savoir, à votre avis, si le conflit avec Al-Qaida risque de se poursuivre indéfiniment, est-ce que cela signifie qu’il faudrait simplement relâcher tous les membres de cette organisation ?

Deuxièmement, notre législation et nos politiques générales concernant les détenus dictent des règles claires sur les normes de traitement à appliquer à tous les détenus en notre garde.  En décembre dernier, le Congrès a voté la Loi sur le traitement des détenus, qui promulgue l’interdiction du traitement cruel, inhumain et dégradant, et qui s’applique à tous les représentants des Etats-Unis, où qu’ils se trouvent.  En juin, la Cour Suprême a statué dans l’affaire Hamdan que l’article 3 commun aux Conventions de Genève s’applique à nos conflits armés avec al-Qaida.  En septembre le Département de la Défense a annoncé sa nouvelle politique générale intégrale en matière de détention et d’interrogation, qui respecte totalement, et même dépasse, sous beaucoup d’aspects, les normes minimales figurant à l’article 3 commun.  Par exemple, tous les détenus à la garde du Département de la Défense bénéficient des protections des prisonniers de guerre, à moins et tant qu’un tribunal compétent n’en décide autrement.  Plus récemment, le Congrès a promulgué et le président a signé la Loi sur les commissions militaires, qui codifie les violations graves de l’article 3 commun, notamment la torture, la mutilation, la prise d’otages et autres infractions.

Troisièmement, notre Congrès a prévu un cadre législatif pour que les membres du Taliban et d’Al-Qaida comparaissent devant une commission militaire pour crimes de guerre.  La Loi sur les commissions militaires constitue le fondement législatif qui, de l’avis de la Cour suprême, faisait défaut au Décret militaire présidentiel initial.  En outre, cette loi modifie nettement les commissions militaires d’origine, afin de répondre aux préoccupations substantielles exprimées par la Cour suprême et la communauté internationale, et d’assurer que ces commissions respectent l’obligation prévue à l’article 3 commun, à savoir, que les personnes doivent être jugées par « un tribunal régulièrement constitué, offrant toutes les garanties judiciaires qui sont reconnues comme indispensables par tous les peuples civilisés. »

Par exemple, l’accusé a maintenant le droit absolu d’entendre tous les éléments de preuve présentés contre lui et peut faire appel de sa condamnation devant nos tribunaux indépendants au titre de l’article III, jusqu’à la Cour suprême.  L’accusé est présumé innocent ; il a le droit de se représenter lui-même, d’avoir un avocat  militaire, de se livrer à un contre-interrogatoire des témoins à charge ; il n’est pas obligé de témoigner contre lui-même.  Aucun élément de preuve résultant de la torture n’est recevable, et si l’accusé allègue qu’une déclaration a été faite sous l’effet de la coercition, cette déclaration n’est pas recevable, à moins que le juge ne décide qu’elle est fiable et qu’elle serait dans l’intérêt de la justice.  Les procédures de la commission militaire offrent toutes les garanties fondamentales d’impartialité et de procédure équitable et sont très similaires aux procédures en vigueur dans nos tribunaux civils et nos cours martiales.  Je sais que certains critiques continuent à affirmer que ces procédures ne sont pas justes, mais de telles assertions ne sont pas fondées ; j’estime qu’à ce point, ils devraient se concentrer non sur la théorie, mais sur le fonctionnement pratique de ces commissions.

Nous pensons avoir mis au point une structure juridique satisfaisante pour répondre à notre conflit avec Al-Qaida.  Nous comprenons et respectons le fait que le Royaume-Uni, partie à la convention européenne des droits de l'homme et aux Protocoles additionnels des Conventions de Genève, ait d’autres obligations juridiques que les Etats-Unis, qui ne sont pas partie à ces instruments.  Comme nous nous trouvons sur un nouveau terrain, nous espérons que d’autres vont reconnaître et respecter que les politiques et pratiques des Etats-Unis aient dû significativement évoluer depuis le 11-Septembre.  Ces changements illustrent la complexité des problèmes que nous avons été obligés d’affronter, ainsi que les mécanismes d’autocorrection inhérents au système américain d’équilibre des pouvoirs.

III.  L’avenir de Guantanamo

Non contents d’œuvrer à clarifier les règles juridiques applicables à la détention, nous nous occupons également de répondre aux préoccupations internationales précises concernant les installations à Guantanamo Bay.  Dans son allocution du 6 septembre, le président Bush a de nouveau répété qu’il souhaitait fermer Guantanamo dès que ce sera faisable dans la pratique.

Il a toutefois aussi expliqué combien il est difficile pour nous d’essayer de convaincre les pays qui ont des ressortissants à Guantanamo de les reprendre.  Dans certains cas, l’état de nationalité refuse d’admettre que les détenus lui appartiennent.  Parfois aussi, l’état de nationalité refuse simplement qu’on lui rende quelqu'un, ou accepte de reprendre ses nationaux, mais ne peut offrir les garanties de sécurité et de traitement humain que nous réclamons avant de les transférer.  Les critiques ne peuvent pas d’un même élan réclamer la libération des détenus de Guantanamo, mais refuser qu’ils soient renvoyés dans le pays d’où ils viennent, sans offrir une autre destination réaliste pour ces détenus.

Se contenter de réclamer la fermeture de Guantanamo ne nous aidera pas à fermer plus vite le camp.  Les représentants européens qui veulent que les Etats-Unis ferment Guantanamo devraient formuler des suggestions réalistes sur les moyens de le faire, et offrir de l’aide en même temps.  Une mesure pratique que les Etats européens pourraient prendre afin d’aider à réduire la population de Guantanamo serait d’envisager de réimplanter les détenus qui ne peuvent pas réintégrer leur pays d’origine.  A ce jour, seule l’Albanie a consenti cet effort, en acceptant d’accueillir cinq détenus Ouighour qui n’étaient plus considérés comme combattants ennemis.  Un autre moyen serait d’aider à persuader les pays ayant des ressortissants à Guantanamo d’en accepter la responsabilité, y compris en les exhortant à nous donner des assurances suffisantes de sécurité et de traitement humain.

Conclusion

Pour terminer, j’espère vous avoir fait sentir combien nous avons progressé du point de vue juridique, face à la menace d’Al-Qaida.  A la date du 11-Septembre, aucun pays, y compris les Etats-Unis, n’aurait pu être prêt à répondre au problème complexe des armées de terroristes transnationaux.  Après les attentats, nous avons immédiatement pris certaines décisions et instauré certaines politiques générales afin de parer à la menace, en nous basant sur le droit de la guerre comme source d’inspiration la plus satisfaisante.
Depuis cinq ans, et particulièrement l’an dernier, nous avons apporté de nombreux changements à nos lois et politiques.  Personne ne peut affirmer de façon crédible que les combattants ennemis capturés dans ce conflit se trouvent maintenant face à un « trou noir » juridique.  Nous ne prétendons certes pas que le cadre juridique soit complet, ni qu’il ne puisse pas être peaufiné avec nos alliés, mais il sert effectivement de point de départ important aux discussions avec nos alliés, quand il s’agit de savoir comment jeter en commun des fondations juridiques solides, afin de mener en commun des actions de contre-terrorisme dans l’avenir.

Nous devons maintenant aller de l’avant.  Pour reprendre les remarques du président Bush dans son allocution du 6 septembre, alors que les Etats-Unis renforcent et explicitent leur législation chez eux, le temps est maintenant venu pour que la communauté internationale jette des fondations communes pour défendre nos pays et protéger nos libertés.  A la base de cette fondation, il est nécessaire de se rendre compte de l’ampleur de la menace posée par al-Qaida, ainsi que du besoin de recourir à la force militaire dans certains cas pour y parer.  Le droit pénal interne ne répond pas en lui-même suffisamment à la menace de cet ennemi précis.  Bien que la force militaire ne soit pas la bonne réponse en tout temps et contre tous les ennemis, il faut comprendre qu’elle peut être utile face à une menace aussi sérieuse que celle d’Al-Qaida, ce qui pourrait permettre d’intensifier le dialogue et d’aller de l’avant.

Nous reconnaissons volontiers que nombre de ces questions restent préoccupantes au Royaume-Uni, en Europe et ailleurs, mais j’aimerais rappeler que nous sommes fermement résolus à poursuivre le dialogue avec nos partenaires européens sur ces questions, tout comme nous avons eu des discussions énergiques dans notre propre pays.  Il n’existe aucune réponse toute faite à ces problèmes, car les questions sont difficiles et les enjeux importants.  C’est pourquoi j’exhorte les représentants et les commentateurs européens conscients de leurs responsabilités à promouvoir sur ces sujets des débats plus équilibrés dans leurs propres pays, entre eux, et avec les Etats-Unis.  J’invite de même les Gouvernements européens à dépasser la critique, qui tourne parfois à la critique systématique, contre les Etats-Unis.  Il faut trouver des suggestions et des solutions pratiques parce que, comme vous, nous ne souhaitons pas que cette lutte s’éternise.  Je suis sûr que les liens historiques forts entre les Etats-Unis et l’Europe, basés sur des valeurs fondamentales communes, notamment la protection de la liberté et le respect de l’Etat de droit, serviront de socle à la victoire dans la guerre contre Al-Qaida.

END.