— 295 -r- et défend de les sacrifier à l'égoïsme d'un particulier. C'est là un principe que chacun s'empresserait de reconnaître pour son propre compte. C'est donc un principe que tous peuvent invoquer pareillement. C'est la morale de l'indivi- dualisme. D'autre part, il y a des cas où l'esclavage choque la morale d'une façon particulièrement grave. C'est quand un maître peut abuser, en dépit des lois de l'honnêteté et de la justice, des esclaves qui se trouvent sans défense contre les entreprises de sa passion. Nous voici arrivés au chapi- tre XII, intitulé < les Abus de l'esclavage >. Quand on se souvient de l'ironie du chapitre V, on s'attend à voir dres- ser un réquisitoire formidable contre les iniquités de cette tyrannie, contre les peines atroces du Code Noir, peut- être, ou, tout au moins, contre la cupidité féroce qui fait mourir dans l'angoisse de l'exil forcé tant de milliers de noirs (1). Or, il y a dans ce chapitre des choses qu'on peut admi- rer. Montesquieu affirme que les lois de la morale sont des lois universelles ; il n'y a pas de nation ni de climat où l'on puisse se dispenser de les observer. Si esclavage il y a, il faut que même cet esclavage ne soit pas contraire à la morale. C'est un grand malheur, même dans le gou- vernement despotique où la vertu est si peu respectée, que d'abuser de l'esclavage afin de le mettre au service de la volupté. Montesquieu s'en rapporte au bon sens, à la cons- cience générale comme il l'a fait au chapitre 9. Si dans les pays mahométans, où les mœurs permettent de laisser les femmes dans un tel état d'infériorité, la morale a des droits imprescriptibles, il est évident que dans les monar- chies et dans les républiques, où l'honneur et la vertu doivent régner, un tel abus ne saurait être toléré. Mais ce qui peut nous étonner c'est que son point de vue a changé. Le moraliste ne considère plus l'esclavage par rapport à la raison pure, comme il l'avait fait. Il se met à rechercher quelle doit être la police de l'esclavage établi même dans les monarchies et dans les républiques. Or, il semble que la morale pure aurait dû dire encore (1) Cf. Lettres persanes, CXIX.