A VERIFIER AU PRONONCE

 

 

Discours de Monsieur Nicolas Sarkozy,

Président de la République française

devant le

Congrès des Etats-Unis d’Amérique

(7 novembre 2007)

 

 

Madame le Speaker,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Congrès des Etats-Unis,

Mesdames et Messieurs,

 

Ladies and gentlemen,

The state of our friendship and our alliance is strong !

 

 

L’amitié c’est d’abord d’être fidèle à ses amis. Depuis que les Etats-Unis sont apparus sur la scène du monde, la fidélité qui lie le peuple français et le peuple américain ne s’est jamais démentie. Et loin de s’être affaiblie à travers les vicissitudes de l’Histoire, elle n’a cessé au contraire de se renforcer.

 

Avec ses amis on peut avoir des divergences, on peut avoir des désaccords, on peut avoir des disputes.

 

Mais dans la difficulté, dans l’épreuve, on est avec ses amis, on est à leurs cotés, on les soutient, on les aide.

 

Dans la difficulté, dans l’épreuve, l’Amérique et la  France ont toujours été côte à côte, elles se sont soutenues, elles se sont aidées, elles se sont battues chacune pour la liberté de l’autre.

 

Les Etats-Unis et la France sont fidèles au souvenir de leur histoire commune, fidèles au sang que leurs enfants ont versé dans les combats communs. Mais les Etats-Unis et la France ne sont pas seulement deux nations fidèles à la mémoire de ce qu’elles ont accompli ensemble par le passé. Elles sont surtout fidèles à un même idéal, aux mêmes principes, aux mêmes valeurs qui depuis toujours les lient l’une à l’autre.

 

Vous avez placé les délibérations de votre Congrès sous le double regard de Washington et de Lafayette. Lafayette, dont nous célébrons cette année le 250ème anniversaire et qui fut le premier dignitaire étranger, en 1824, à s’exprimer devant vos deux Chambres réunies. Or, qu’est ce qui a rapproché ces deux hommes si différents par l’âge et par le monde dont ils étaient issus, sinon la foi dans des valeurs communes, l’héritage des Lumières, un même amour de la liberté et de la justice ?

 

Lafayette rejoignant Washington lui avait dit : « C’est pour apprendre et non pour enseigner que je suis ici ». C’était l’esprit nouveau et la jeunesse du Vieux Monde qui venait à la rencontre de la sagesse du Nouveau Monde pour ouvrir une ère nouvelle à l’humanité tout entière.

 

Le rêve américain, ce fut dès le départ de mettre en pratique ce que le vieux monde avait rêvé.

 

Le rêve américain, ce fut dès le départ de prouver à tous les hommes que la liberté, la justice, les droits de l’Homme, la démocratie n’étaient pas une utopie mais au contraire la politique la plus réaliste qui soit et la plus susceptible d’améliorer le sort de chacun.

 

Aux millions d’hommes et de femmes venus de tous les pays et qui ont construit avec leurs mains, avec leur intelligence et avec leur cœur la plus grande nation du monde, l’Amérique n’a pas dit : « Venez, et tout vous sera donné ». Elle leur a dit : « Venez, et il n’y aura pas d’autre limite à ce que vous pourrez accomplir que celles de votre courage et de votre talent ». L’Amérique c’est cette extraordinaire capacité de donner à chacun une deuxième chance.

 

Ici, le plus illustre des citoyens comme le plus humble sait que rien n’est dû et que tout se gagne. C’est ce qui fait la valeur morale de l’Amérique. L’Amérique n’a pas enseigné aux hommes l’idée de la liberté. Elle leur en a enseigné la pratique. Et elle s’est battue pour cette liberté à chaque fois qu’elle l’a sentie menacée quelque part dans le monde. C’est en regardant grandir l’Amérique que les hommes ont compris que la liberté était possible.

 

La grandeur de l’Amérique, c’est d’avoir réussi à transformer son rêve en espérance pour tous les hommes.

 

Mesdames et Messieurs,

 

Les hommes et les femmes de ma génération ont entendu leurs grands-parents raconter comment l’Amérique, en 1917, avait secouru la France, au moment où elle parvenait à l’extrême limite de ses forces qu’elle avait épuisées dans la plus absurde et la plus sanglante des guerres.

 

Les hommes et les femmes de ma génération ont entendu leurs parents raconter comment l’Amérique était revenue, en 1944, libérer l’Europe de l’effroyable tyrannie qui menaçait de l’asservir.

 

 

Les pères ont emmené leurs fils voir les grands cimetières où sous des milliers de croix blanches dorment, si loin de chez eux, des milliers de jeunes soldats américains tombés non pour défendre leur propre liberté, mais la liberté de tous les autres, non pour défendre leur famille, leur patrie, mais pour défendre l’humanité toute entière.

 

Les pères ont emmené leurs fils sur les plages où les jeunes de l’Amérique avaient débarqué en héros. Ils leur lisaient ces lettres d’adieu admirables que ces soldats de vingt ans avaient écrites à leurs familles avant la bataille pour leur dire : « Nous ne nous prenons pas pour des héros. Nous désirons tous que cette guerre cesse. Mais quelles que soient nos angoisses, on pourra compter sur nous ». Avant de débarquer, Eisenhower leur avait dit : « Les yeux du monde sont fixés sur vous. Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent ».

 

Et les enfants de ma génération, en écoutant leurs pères, en regardant les films, en lisant les livres d’histoire et les lettres des soldats morts sur les plages de Normandie ou de Provence, en visitant les cimetières où flotte la bannière étoilée, ont compris que ces jeunes Américains de vingt ans étaient des héros auxquels ils devaient d’être des hommes libres et non des esclaves. La France n’oubliera jamais le sacrifice de vos enfants.

 

A ces héros de vingt ans qui nous ont tout donné, aux familles de ceux qui ne sont pas revenus, aux enfants qui ont pleuré des pères qu’ils ont à peine eu le temps de connaître, je veux dire la gratitude éternelle de la France.

 

Au nom de ma génération qui n’a pas connu la guerre mais qui sait ce qu’elle doit à leur courage et à leur sacrifice, au nom de nos enfants qui se souviendront toujours, à tous les vétérans qui sont ici et notamment aux sept que j’ai eu l’honneur de décorer hier soir et dont l’un, le sénateur INOUYE, appartient à votre congrès, je veux dire la reconnaissance profonde, sincère du peuple français. Je veux vous dire que chaque fois que dans le monde tombe un soldat américain, je pense à ce que l’armée d’Amérique a fait pour la France. Je pense à eux et je suis triste, comme on est triste de perdre un membre de sa famille.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Les hommes et les femmes de ma génération ont gardé en mémoire le plan Marshall qui a permis à leurs pères de reconstruire l’Europe dévastée. Ils ont gardé en mémoire la Guerre Froide pendant laquelle l’Amérique fut le rempart du monde libre contre la menace d’une autre tyrannie.

 

Je me souviens de la crise de Berlin, de Kennedy prenant sans hésiter le risque d’engager les Etats-Unis dans la plus destructrice des guerres pour que l’Europe puisse garder cette liberté pour laquelle le peuple américain avait déjà consenti tant de sacrifices. Nul n’a le droit d’oublier. L’oublier, ce serait se renier pour un homme de ma génération.

 

Mais ma génération n’a pas seulement aimé l’Amérique parce qu’elle avait défendu la liberté. Nous l’avons aimée aussi parce quelle a incarné pour nous ce qu’il y avait de plus audacieux dans l’aventure humaine, parce qu’elle a incarnée pour nous l’esprit de conquête. Nous avons aimé l’Amérique parce que l’Amérique c’était une nouvelle frontière sans cesse repoussée, un défi sans cesse renouvelé à l’inventivité de l’esprit humain.

 

Ma génération a partagé tous les rêves de l’Amérique. Dans l’imaginaire de ma génération, il y a la conquête de l’ouest et Hollywood. Il y a Elvis Presley, Duke Ellington, Hemingway. Il y a John Wayne, Charton Heston, Marilyn Monroe, Rita Hayworth. Il y a aussi Armstrong, Aldrin et Collins réalisant le plus vieux rêve de l’Homme.

 

Ce qu’il y avait d’extraordinaire pour nous, c’est qu’à travers sa littérature, son cinéma, sa musique, il nous semblait que l’Amérique sortait toujours plus grande et plus forte des épreuves qu’elle traversait, qu’au lieu de l’amener à douter d’elle-même, les épreuves la conduisaient à croire davantage encore à ses valeurs.

 

 

La force de l’Amérique, c’est la force de cet idéal qui est partagé par tous les Américains et par tous les hommes qui l’aiment parce qu’ils aiment la liberté.

 

La force de l’Amérique n’est pas seulement une force matérielle, c’est d’abord une force morale et spirituelle. Nul ne l’a mieux exprimé qu’un pasteur noir qui ne demandait à l’Amérique qu’une seule chose, c’est qu’elle fût fidèle à cet idéal au nom duquel il se sentait, lui le petit fils d’esclave, si profondément américain. Il s’appelait Martin Luther King. Il a fait de l’Amérique une référence universelle.

 

Le monde se souvient de ses paroles qui étaient des paroles d’amour, de dignité et de justice. Ces paroles, l’Amérique les a entendues. Et l’Amérique a changé. Et les hommes qui avaient douté de l’Amérique parce qu’ils ne la reconnaissaient plus se sont mis à l’aimer à nouveau.

 

Au fond, que demande à l’Amérique ceux qui l’aiment, sinon d’être toujours fidèle à ses valeurs fondatrices ?

 

*

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Aujourd’hui comme hier, en ce début de XXIème siècle, c’est ensemble que nous devons mener les combats pour défendre et promouvoir les valeurs et les idéaux de liberté et de démocratie que des hommes tels que Washington et Lafayette ont inventés ensemble.

 

C’est ensemble que nous devons mener le combat contre le terrorisme. Le 11 septembre 2001, c’est la France toute entière, pétrifiée d’horreur, qui s’est portée aux côtés du peuple américain. L’un de nos principaux quotidiens barrait sa première page avec ce titre : « Nous sommes tous des américains ». Et ce jour là où vous pleuriez tant de morts, jamais l’Amérique ne nous est apparue si grande, si digne, si forte. Les terroristes avaient pensé vous affaiblir. Ils vous ont grandi. Le peuple d’Amérique a fait l’admiration du monde par son courage. Et la France dès le premier jour décida de participer à vos côtés, à la guerre en Afghanistan. Je vous le dis solennellement aujourd’hui : la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu’il le faudra, car ce qui est en cause dans ce pays, c’est l’avenir de nos valeurs et celui de l’Alliance atlantique. Pour moi, l’échec n’est pas une option.

Le terrorisme ne gagnera pas parce que les démocraties ne sont pas faibles, parce que nous n’avons pas peur de cette barbarie. L’Amérique peut compter sur la France.

 

C’est ensemble que nous devons mener le combat contre la prolifération. Le succès enregistré en Libye et les progrès en cours en Corée du  Nord montrent que la prolifération nucléaire n’est pas une fatalité. Je l’affirme devant vous : la perspective d’un Iran doté de l’arme nucléaire est inacceptable. Le peuple iranien est un grand peuple. Il mérite mieux que les sanctions et l’isolement croissants auxquels le condamnent ses dirigeants. Il faut convaincre l’Iran de faire le choix de la coopération, du dialogue et de l’ouverture. Nul ne doit douter de notre détermination.

 

C’est ensemble que nous devons aider les peuples du Moyen-Orient à trouver le chemin de la paix et de la sécurité. Aux dirigeants israéliens et palestiniens je dis : n’hésitez pas ! Prenez le risque de la paix ! Et prenez le maintenant ! Le statu quo recèle des dangers bien plus grands encore : celui de livrer la société palestinienne tout entière aux extrémistes qui contestent l’existence d’Israël ; celui de faire le jeu des régimes radicaux qui exploitent l’impasse du conflit pour déstabiliser la région ; celui enfin d’alimenter la propagande des terroristes qui veulent dresser l’Islam contre l’Occident. La France veut la sécurité pour Israël et un Etat pour les Palestiniens.

 

C’est ensemble que nous devons aider le peuple libanais à affirmer son indépendance, sa souveraineté, sa liberté, sa démocratie. Ce dont le Liban a besoin aujourd’hui, c’est d’un président de large rassemblement, élu dans les délais et le strict respect de la Constitution. La France s’est engagée aux côtés de tous les libanais. Elle n’acceptera pas que l’on cherche à asservir le peuple libanais.

 

*

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

L’Amérique se sent vocation à inspirer le monde. Parce qu’elle est aujourd’hui la plus puissante. Parce que, depuis plus de deux siècles, elle veut porter les idéaux de démocratie et de liberté. Cette responsabilité revendiquée comporte des devoirs, aux premiers rangs desquels celui de l’exemplarité.

 

Ceux qui aiment la nation qui a le plus démontré au monde les vertus de la libre entreprise attendent de l’Amérique qu’elle soit la première à dénoncer les dérives et les excès d’un capitalisme financier qui fait aujourd’hui la part trop belle à la spéculation. Ils attendent d’elle qu’elle s’engage résolument dans la mise en place des nécessaires règles et garde fous. L’Amérique que j’aime, c’est celle qui encourage les entrepreneurs, pas les spéculateurs.

 

Ceux qui admirent la nation qui a bâti la plus grande économie du monde et qui n’a eu de cesse de convaincre des avantages du libre échange attendent de l’Amérique qu’elle soit la première à promouvoir une juste parité des changes. Le yuan est déjà le problème de tous. Le dollar ne doit pas rester seulement le problème des autres. Si nous n’y prenons garde, le désordre monétaire risque de se muer en guerre économique. Nous en serions tous les victimes.

 

Ceux qui aiment le pays des grands espaces, des parcs nationaux, de la nature protégée, attendent de l’Amérique qu’elle prenne, aux cotés de l’Europe, la tête du combat contre le réchauffement climatique qui menace de destruction notre planète. Je sais que le peuple américain, à travers ses villes et ses Etats, est chaque jour plus conscient des enjeux et déterminé à agir. Ce combat essentiel pour l’avenir de l’humanité doit être celui de l’Amérique toute entière.

 

Ceux qui n’ont pas oublié que ce sont d’abord les Etats-Unis qui, à la fin de la deuxième guerre, ont porté les espoirs d’un nouvel ordre mondial demandent à l’Amérique de prendre la tête des nécessaires réformes de l’ONU, du Fonds Monétaire, de la Banque Mondiale et du G8. Notre monde globalisé doit être organisé pour le XXIème siècle, pas pour le siècle dernier. Il faut donner leur juste place aux pays émergents dont nous avons besoin pour l’équilibre du monde.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Permettez moi de vous livrer une dernière conviction : ayez confiance en l’Europe.

 

Dans ce monde instable et dangereux, les Etats-Unis d’Amérique ont besoin d’une Europe forte et déterminée. L’Union européenne est en passe, avec le traité simplifié que j’ai proposé à nos partenaires, de sortir de dix années de débats sur ses institutions et de paralysie. Bientôt dotée d’un Président stable et d’un Haut Représentant plus puissant pour sa politique étrangère et de sécurité, elle doit désormais relancer le grand chantier de ses capacités militaires.

 

L’ambition que je propose à nos partenaires part d’un constat simple : il y a plus de crises que de capacités pour y faire face. L’OTAN ne peut être partout. L’Union Européenne doit être capable d’agir, comme elle le fait dans les Balkans ou au Congo, demain à la frontière du Soudan et du Tchad. Pour cela les Européens doivent faire un effort accru.

 

Ma démarche est purement pragmatique. Instruit par l’histoire, je souhaite que dans les années qui viennent les européens se donnent les moyens d’assurer une part croissante de leur défense. Qui pourrait reprocher aux Etats-Unis d’assurer leur sécurité ? Personne. Qui pourrait me reprocher de vouloir que l’Europe assure davantage sa sécurité ? Personne. Tous nos Alliés, à commencer par les Etats-Unis, avec lesquels nous partageons le plus souvent les mêmes intérêts et les mêmes adversaires, ont un intérêt stratégique à ce que l'Europe s'affirme comme un partenaire de sécurité crédible et fort.

 

Dans le même temps, je veux affirmer mon attachement à l’OTAN. Je le dis à la tribune de ce Congrès, plus l’Europe de la Défense sera aboutie, plus la France sera résolue à reprendre toute sa place dans l’OTAN.

 

Je souhaite que la France, membre fondateur de notre Alliance et qui est déjà l’un de ses premiers contributeurs, prenne toute sa place dans l’effort de rénovation de ses instruments et de ses moyens d’action et fasse évoluer dans ce contexte sa relation avec l’Alliance.

 

Le temps n’est plus aux querelles théologiques, mais à des réponses pragmatiques pour rendre les outils de notre sécurité toujours plus efficaces et opérationnels face aux crises. L’Union et l’Alliance doivent marcher la main dans la main.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Je veux être votre ami, votre allié, votre partenaire. Mais un ami debout. Un allié indépendant. Un partenaire libre.

 

Il faut une France plus forte. Les réformes que mon pays a trop longtemps différées, je suis déterminé à les mener toutes à leur terme. Je ne reculerai pas car la France a trop longtemps reculé. Mon pays a d’immenses atouts ; je veux le mettre en situation, dans le respect de son identité si singulière, de gagner toutes les batailles de la mondialisation. J’aime passionnément la France. Je suis lucide sur le chemin qu’il nous reste à accomplir.

 

C’est cette France ambitieuse que je suis venu vous présenter aujourd’hui. Une France qui vient à la rencontre de l’Amérique pour renouveler ce pacte d’amitié et d’alliance scellé à Yorktown entre Washington et Lafayette.

 

Ensemble, soyons dignes de leur exemple, soyons à la hauteur de leur ambition; soyons fidèles à leur mémoire !

 

Vive les Etats-Unis d’Amérique !

 

Vive la France !

 

Vive l’amitié franco-américaine !