LA SALLE INQUIET DE L'ABSENCE DE MONTRENGER 321 des occupations. Le dit Sauvage ayant promis de conduire M. de La Salle, celuy-cy se prépara à partir le lendemain matin, et me donna ordre de me tenir prest à partir avec luy, quoyque l'apprest fust aisé à faire, puisque nous estions tous les jours en marche. Le soir, comme nous conversions ensemble sur ce qui pouvoit estre arrivé à Ceux qui estoient partis, il sembloit qu'il eust un pressentiment de ce qui devoit arriver. Il me demanda si je n'avois point entendu machiner quelque chose entre eux, et si je n'avois point remarqué qu'ils eussent quelque meschant dessein. Je luy respondis que je n'avois rien entendu, sinon dans certaines rencontres qu'ils se plaignoient d'estre souvent querellez, et que je ne sçavois pas autre chose; qu'en outre, comme ils estoient persuadez que j'estois dans ses intérests, s'ils avoient eu quelque meschant dessein, ils ne se seroient pas déclarez à moy. Le reste de la soirée se passa avec bien de l'inquiétude. Enfin,le jour estantvenu, il fut question de partir. Ce fut le 19, et quoyqu'il eust résolu que je devois partir avec luy, il se ravisa le matin, sur ce qu'il ne restoit personne audit lieu pour veiller. Il dit alors au Père Anastase de l'accompagner. Il me dit ensuite de luy donner mon fusil, en ce qu'il estoit des plus seurs de ceux de nostre troupe; je le luy donnay avec mon pistolet. Ils partirent ainsi trois, sçavoir : M. de La Salle, le Père Anastase et le Sauvage qui les conduisoit. Le dit sieur m'ordonna, en partant, que j'eusse à prendre garde à tout, et d'avoir soin de faire des fumées de temps en temps sur une petite éminence proche de nostre camp, afin que, s'ils s'es-garoient, cela peust servir à les redresser, en les dirigeant vers la fumée. Ils partirent ainsi. Nous ne restions audit lieu que cinq, qui n'estions pas d'une grande défense, en ce qu'il y ni 21