Dsns Coriolan (Acte I, Scene l), vous trouvez ceci : "Je renvoie tout Per le5 rivibres du sang jusqu'au palaih du coeur, jusqu'su trBne de la raison et RrEice aux conduits sinueux du corps hunain, les nerfs les plus forts et les moindres veines resoivent de moi ce siml'le nkcessaire qui les fait vivre". Coriolan est joud pour la premiere fois en 1608. 1,s arande decouverte de lo circulation du sang par Harvey est annoncee en 1629. 11 semble bien gue le I'oete ait prkckde le 1thysioloRiste. - Pendant plusieurs millenaires, les hommes n'ont Pas su que le sang circulait. Les grands medecins grecs croyaient que les vaissesux transportaient de l'air. Delwis plusieurs centaines d'an- nkes, depuis IBNAPIS, O edecin de l'hBpita1 El Mansour ir DAMAS qui, au XIII& sibcle, bien avant Yichel SERVET, ddcrit la petite circu- lation, depuis Shakespeare et Harvey, les hommes sevent que le I" sang circule. Msis ils ne savcnt pourquoi il s'arrbte, comment, pourquoi surviennent ces obstructions que nous nommons thromboses. Le Professeur Donald FREDRICKSON est au premier rang des pionniers qui ont reconnu, compris, ddcouvert les mhcanismes, les raisons de l'obstruction, de la thrombose des artores. Son nom s'inscrit ainsi apros ceux de Shakespeare et de Harvey sur une liste anKlo-saxonne glorieuse. 2. Entre tous les equilibres n6cessaires a la vie, l'un des plus remarquables est celui qui maintient dans le sang la fluidit convenable. Ewes de fluidite et c'est pour la moindre plaie, la mort par hgmorragie. Insuffisance de fluidit et c'est la mort par thrombose. De nombreux facteurs concourent au maintien de cet Bqui- libre. Les plus importants de ces facteurs sont les lipides auxquels Donald Fredrickson a consacrd l'essentiel de ses recherches. Lipides ? Dans toutes les circonstances solennelles de la vie, et surtout s'il s'agit d'une AcadGmie, il faut ouvrir le dictionnaire. J'avais pour mission de recevoir le maftre des lipides, j'ai ouvert les dictionnaires au mot lipides. D'abord en vain. Le mot lipides ne figure ni dans le Littrd qui connart seulement lipolfdes (1867), ni dans la dernisre Edition du Dictionnaire de l'Acad&nie franqaise, ni pour l'anglais, dans le Chambers de 1920. 11 entre dans notre langue en 1923, nous apprend le Robert : "les lipides comprennent les graisses proprement dites, les esters des acides gras et les lipordes". L'homme et les lipides. Cette confrontation illustre l'absurdite de nos comportements. Dans les pays riches, les hommes se gavent de lipides et meurent obeses. Les belles dames,avalant leurs toasts tres beurrds, discutent les taux de leur cholestkol. Dans les pays pauvres, peu 3. 4. ou point de lipides dans l'alimentation et de redoutables carences qui conduisent a la misere, a la maladie, 2 la mort. Dans tous les pays riches et pauvres, les horunes souffrent de desordres constitutionnels ou acquis de la chimie des lipides dont les consequences sent souvent graves. D'etroites relations unissent les lipides, leurs eXC&S, leurs insuffisances, leurs desordres 2 l'art&riosclGrose. Les travaux de Donald Fredrickson ont eu essentiellement pour objet l'etude de ces relations. Ce n'est pas le lieu d'analyser en detail ces recherches. 11 est plus important d'en examiner les principes et d'en souligner les consb- quences. Les principes d'abord. Deux surtout. La pluridisciplina- rite en premier lieu. Des querelles passionnelles et passion- rides ont, en ces dernieres annees,oppose partisans de la formation scientifique, partisans de la formation litte- raire, partisans de la formation purement clinique, parti- sans de la formation purement biologique des futurs &de- tins. La personne, l'oeuvre de Donald Fredrickson demon- trent l'absurdite de ces querelles derisoires. Le medecin doit Otre a la fois lettre et savant, biologiste et cli- nicien. On s'emerveille, quand on se penche sur l'oeuvre de Donald Fredrickson de la constante alliance de l'ob- servation clinique, de la genetique m&dicale, de la biochimie la plus fondamentale. Cette alliance suscite les progres de la connaissance. Son oeuvre comme toutes les grandes oeuvres de la biologie et de la medecine est parcourue parun double courant. Tantdt la constatation d'une anomalie de la structure d'une molecule lipidique le conduit a des applications cliniques. Tant6t d'un fait clinique, de la maladie d'un homme, d'une famille, il remonte vers la biologie moleculaire. Avec modestie. Les generaux quand ils triomphent, ne donnent pas a leur victoire leur nom ilais le nom du village, Iena, Austerlitz, ou de la riviere. Les medecins, plus vaniteux, mEme quand ils ne triomphent pas, donnent leur nom aux maladies et on parle de la cirrhose de Laennec, de la maladie d'Addison. Donald Fre- drickson, plus proche des generaux que des medecins, quand il identifie et ddcrit admirablement une maladie ante- rieurement ignoree du metabolisme des lipides leur donne le nom Tangier de l'ile de la baie de Chesapeake Oil le premier cas a et6 observe. On s'emerveille aussi de la constante alliance de la biologic et de la culture. L'etude de certaines maladies hereditaires des lipides permet de preciser certaines mi- grations humaines telle celle de populations du sud de la Russie, au nord de la mer Noire, marquees par leur anomalies des graisses au long de leurs voyages. L'etude des formes particulieres du corps de certains malades permet d'heureux rapprochements avec le.5 images que les peintres en ont donnees. 5. 6. Deuxieme grand principe, la mesure. Le mot mesure a certes en fran$ais et en anglais (ne serait-ce que dans Shakespeare) des sens tres divers. Pour Donald Fredrickson, il s'agit de la rigueur chiffree, de l'appreciation exacte des phenomenes. Quelques exemples en temoignent : la decouverte et l'identification de 3 des 10 apolipoproteines connues, la premiere determination de la structure de ces apolipoproteines, ces nouvelles structures qui sont de nouveaux paradigmes comme dira Fredrickson lui-meme, le premier classement ri- goureux des maladies des lipides du plasma. Les consequences de ces travaux sent tres grandes. Long- temps restees mysterieuses, les relations entre les lipides qui circulent dans le sang et la paroi des vaisseaux commen- cent d'etre comprises. Grace aux remarquables recherches de Donald Fredrickson,nous savons comment se fait le d6pBt dans la paroi de ces lipides. Nous connaissons la genese des alterations arterielles et le debut puis les progres de l'arteriosclerose aboutissant a la thrombose, 2 l'obstruc- tion des vaisseaux. Ces desordres commencent tres t6t dans la vie. La prevention de l'arteriosclerose doit, comme le montre tres bien Donald Fredrickson, commencer dans l'en- fance. On mesure l'importance de ces recherches, de ces progres en rappelant que les maladies des vaisseaux sont partout dans le monde, au premier rang des causes de morbidite, de mortalite. En France seulement 200 000 marts par an. Deux fois plus que le cancer. Les travaux de Donald Fredrick- son diminuent le malheur des hommes. LI'*Lr t ,/` La recherche est une fonction Wetats. Dne longue et forte chaine de solidaritd unit la collectivite nationale qui consent l'effort financier en amonya l'homme, la femme, l'enfant qui, en aval, souffrent et meurent. Sur cette chaIne des maillons de tres grande importance, ceux de l'hdministration de la Recherche. Le tresor que la nation consacre a la recherche doit @tre g&r& ; sa repar- tition doit 6tre inspiree par la qualite des recherches, son emploi doit etre contrdle. Certes le chercheur doit rester libre. Le contrale doit aceepter une part de li- /I/. ` A bert& et de d6sordre. y? oint de bonne recherche sans une bonne administration. Aux administrateurs professionnels, ignorant la re- cherche, aux chercheurs mediocres trouvant refuge dans l'administration, on doit preferer le grand chercheur, le maitre de recherche acceptant de sacrifier a l'inter6t collectif quelques an&es de sa recherche. Tel mon cher et regrette ami Jacques Monod, prenant la direction de 1'Institut Pasteur. Tel Donald Fredrickson prenant la direction du National Institute of Health, c'est-a-dire de la recherche amdricaine en biologie et en medecine. Charles Pdguy a Lvoqu& nos Peres tentant le centuple hasard : 7. 8. "Sous les quatre vingts rois et les trois republiques Et sous Napoleon, Alexandre et Cesar" Fredrickson, lui,aucentuple hasard a prefer& la certitude unique sous Ford, Carter et Reagan. 11 a orient&, organise, inspire toute la recherche biologique et medicale ameri- Caine dont nous observons l'admirable essor. 11 a et6 a la fois administrateur, constructeur, financier, moraliste. L'un des premiers, il a compris l'importance des problemes moraux que la science pose aux societbs. Celui de l'energie nucldaire apres l'accident heureusement limit6 de Three Miles Island. Celui du genie gendtique. L'homme de science, pendant le mandat de Donald Fre- drickson acquiert la maftrise genirtique. 11 est capable de modifier le patrimoine genetique d'un colibacille. Ce qui est vrai pour le colibacille est vrai pour l'elephant, disait un grand biologiste. Les previsions d'Aldous Huxley et de Brave New World vent-elles se rdaliser ? Faut-il laisser se developper des recherches sauvages ? Faut-il interdire des recherches qui peuvent inspirer d'efficaces therapeutiques ? Une attitude moysnne est avec sagesse choisie. Un moratoire est decide. Pendant le moratoire, les protections sont mises au point. Les recherches reprennent desormais inoffensive6 et fbcondes. Donald Fredrickson, l'un des premiers, a compris que les nouveaux pouvoirs de la science imposaient de nouveaux devoirs. Dan6 la Rome antique, quand se presentait un probleme difficile, un dictateur etait nomme, pourvu de l'autorite totale pendant un temps limite. Une fois les delais bchus, le dictateur, mission accomplie, retournait a sa charrue. Les dictateurs modernes malheureusement n'ont guAre ten- dance a retourner a leur charrue. Pas seulement les dictateurs. Mais aussi les adminis- trateurs de la recherche. Une fois en place, ils connais- sent la tentation de la puissance, tentation redoutable. 11s s'ecartent de la recherche. 11s laissent se m6ler vie de science et vie publique. Tres vite s'entrelacent senti- ments purs et sentiments impurs. Au gotlt ancien de la recherche s'allient d'abord modeste puis dominante l'ivres- se l&g&re du premier pouvoir, bientdt plus dangereuse l'or- ganisation rationnelle de ce pouvoir. Donald Fredrickson a don& deux fois un grand exemple. Une premiere fois en quittant les ddlices d'une recherche feconde pour les tourments de l'administration de la recherche. Une deuxieme fois en abandonnant les blandices de la vie publique pour retourner a sa charrue. Je Veux dire 3 son laboratoire, a son enseignement. De tels exem- ples sent rares. Seul, a ma connaissance, Jean Dausset ..- Ainsi Donald Fredrickson ayant abandonne la direction du National Institute of Health est actuellement prOfeSSeUr aux Universites de Washington et Georgetown. 9. Un de nos plus eminent6 confreres a propose, voici quelques annees, de classer les hommes de science sous deux chefs. D'un cdte ceux qui regoivent les distinctions, d'un autre cat8 ceux qui accordent ces distinctions. 11 avait omis l'alternance possible. En 1976, laureat a Madrid de la Fondation Jimenez Diaz, j'ai eu le grand honneur d'etre re$u par les an- ciens laureats au premier rang desquels figurait Donald Fredrickson. Aujourd'hui j'ai la joie, au nom de l'Aca- demie du Royaume du Maroc, d'accueillir le Professeur Donald Fredrickson, de lui souhaiter la bienvenue, de lui dire combien nous sommes heureux et fiers de compter desormais parmi nous un savant, un humaniste d'une valeur exceptionnelle.