JAMAÏQUE. 65 créole de la vieille espèce , très ingénument convaincu que la servitude des nègres est un fait providentiel et un moyen de les civiliser. Le moins que l'on puisse dire , c'est qu'il ne paraît pas que le gou- vernement ait été très judicieux dans le choix de tels hommes pour une telle mission. Il était plus que presumable qu'ils n'auraient pas beaucoup d'impartialité, et leurs rapports ne sauraient acquérir un grand poids aux yeux des hommes calmes et sévères, puisqu'ils n'ont pu être exempts soit de passion, soit d'intérêts personnels dans leurs recherches. Si l'on disait que les sentimens négrophiles dont nous nous fai- sons gloire ne rendent pas nos investigations moins suspectes, il y aurait à répondre que nous sommes dans des conditions d'intégrité beaucoup plus grandes. En effet, le bien ou le mal qui a pu sortir de l'affranchissement n'a pour nous qu'une valeur relative. Nous voulons la délivrance des nègres comme un acte de justice absolue , et quoi qu'il en puisse arriver. Nous fût-il démontré qu'ils seront assez sau- vages pour ne s'imposer jamais, dans l'intérêt des planteurs, plus de fatigues que n'en exigent leur propre bien-être, et que, semblables aux Espagnols , aux Indiens, aux lazzaroni de Naples, aux petits blancs de l'île Bourbon et de Puerto-Rico, ils se résigneront à toutes les privations plutôt que de se soumettre au travail, nous n'en persisterions pas moins avec la dernière énergie à demander leur élargissement. Si pour nous l'émancipation est indépendante du maintien des productions colo- niales ; si pour nous la liberté est un droit de tout membre de l'espèce humaine, au-dessus de quelque considération que ce soit ; si pour nous garder un homme en esclavage parce qu'il ne voudrait pas faire du sucre en liberté est une proposition hideuse, il ne nous importait guère que les émancipés anglais ne voulussent rien faire, et nous n'au- rions pas hésité à le confesser, puisque ce malheur n'enlevait pas un atome de force au principe souverain qui nous fait parler.