January 11, 2007

Déclaration de Mme Rice à la Commission des relations étrangères du Sénat

Dans sa déclaration liminaire faite le 11 janvier 2007 devant la commission sénatoriale des affaires étrangères, la secrétaire d'État américaine, Mme Condoleezza Rice, a défendu la nouvelle stratégie du président Bush à l'égard de l'Irak.

On trouvera ci-après le texte de cette déclaration.

Département d'État des États-Unis Bureau du porte-parole 11 janvier 2007

Déclaration liminaire de la secrétaire d'État des États-Unis, Mme Condoleezza Rice, devant la Commission des affaires étrangères du Sénat

Le 11 janvier 2007 Washington

Mme Rice : Je vous remercie. Alors que je me présente devant vous aujourd'hui, l'Amérique fait face à un moment crucial, en fait, comme l'a noté le président [de la Commission], un moment pivot par rapport à notre politique en Irak et, sur un plan plus large, au Moyen-Orient. Nous savons tous, je pense, que les enjeux en Irak sont immenses et que les conséquences d'un échec le seraient aussi, pas seulement pour l'Amérique et l'Irak, mais aussi pour toute la région du Moyen-Orient et, en fait, pour le monde entier. Nous convenons donc de l'immensité des défis en Irak. Et comme le président l'a dit hier soir, les Américains sont largement d'accord sur ce point et nous, j'entends le gouvernement Bush, considérons avec eux que la situation en Irak est inacceptable. Nous sommes unis sur ces deux points : l'immensité des enjeux et l'inacceptabilité de la situation actuelle.

Le président a donc élaboré une nouvelle stratégie qui tient compte à la fois de nos enjeux en Irak et de la nécessité de modifier notre façon de faire les choses. Les Irakiens ont conçu une stratégie dont ils pensent qu'elle leur permettra de résoudre leur problème le plus urgent, celui du rétablissement de la sécurité à Bagdad. Nous appuierons cette stratégie par l'augmentation des effectifs des troupes américaines. Je crois que le ministre de la défense exposera la question en détail à sa commission.

Je tiens également à souligner ici que nous ne percevons pas cela comme une opération uniquement militaire, mais aussi comme un effort qui doit comporter de très solides composantes politiques et économiques. Afin d'obtenir de meilleurs résultats en matière de gouvernance et d'économie, les États-Unis poursuivent la décentralisation et la diversification de leur présence civile, et c'est là un point sur lequel je m'arrêterai un certain temps pour le traiter plus en détail.

Nous renforçons l'intégration de nos opérations civiles et militaires et, comme l'a noté le sénateur Lugar, il est extrêmement important de considérer l'Irak dans son contexte régional et je souhaiterais parler un peu de la stratégie régionale que nous entendons appliquer pour appuyer les réformateurs et les dirigeants responsables en Irak et dans tout le Moyen-Orient. Je serai très claire. Nous comprenons tous que la responsabilité de déterminer quel type de pays l'Irak deviendra incombe aux Irakiens. Ce sont eux qui peuvent décider si l'Irak deviendra ou non un Irak pour tous les Irakiens, un Irak unifié, ou s'ils permettront aux passions sectaires de laisser passer cette possibilité d'unification de l'Irak.

Nous savons qu'historiquement, l'Irak repose sur les lignes de faille religieuses et ethniques de la région. Et de multiples manières, les récents événements de Bagdad, depuis près d'un an, montrent bien que Bagdad est devenu le centre de ce combat. L'attentat de la mosquée de Samara a provoqué des flambées confessionnelles qui se succèdent à une cadence qui menace d'engloutir le processus de réconciliation fragile mais prometteur, processus qui a produit des élections réussies, une nouvelle constitution et un accord substantiel, au point où nous en sommes aujourd'hui, sur une loi conçue pour partager équitablement les richesses pétrolières de l'Irak, ainsi qu'un engagement en faveur d'une approche plus raisonnable de la débaassification et d'élections provinciales. Les Irakiens doivent relever ce défi essentiel, face aux menaces qui pèse sur le processus de réconciliation nationale, qu'est la protection de la population des criminels et des extrémistes violents qui tuent au nom de griefs d'origine religieuse.

Le président a dit clairement hier soir que le but de l'augmentation de nos effectifs était d'appuyer les Irakiens en vue de leur permettre de rétablir l'ordre et la civilité dans leur capitale. Il a également noté qu'il y avait aussi des éléments importants, stratégiques, économiques et politiques, qui devaient être au rendez-vous pour que l'approche « sécurisation, maintien de l'ordre et construction » soit opérante. Et je tiens donc à vous assurer qu'au département d'État, nous sommes conscients de l'importance d'un accroissement de nos éléments civils et de nos efforts civils autant que de l'accroissement envisagé du côté militaire.

Il s'agit ici d'une politique globale. L'Irak a un gouvernement fédéral. Nous devons permettre aux civils de sortir de notre ambassade, de la zone verte, pour les déployer sur le terrain dans tout le pays. Nous avons assisté, au cours des 18 mois écoulés, à la création d'équipes de reconstruction provinciales qui opèrent hors de Bagdad, équipes dont il faut comprendre l'importance dans la perspective suivante. Il est extrêmement important qu'un gouvernement efficace et opérant soit en place à Bagdad et nous œuvrons avec les Irakiens à mettre en place les ministères, les processus budgétaires et l'assistance technique dont ils ont besoin pour avoir un gouvernement qui fonctionne.

Mais il est d'une importance égale qu'il y ait des administrations locales et provinciales capables de fonctionner et de servir la population. Et cela nous donne d'ailleurs de multiples éléments favorables à la réussite ; pas seulement le gouvernement de Bagdad, mais aussi les gens avec lesquels nous travaillons dans les provinces. Je noterai ici que nous pensons que cette démarche a un effet dans des endroits comme Mossoul, dans des endroits comme Tal Afar. Mais elle a un très bon effet aussi dans les endroits les plus difficiles. Et l'une des autres composantes de la politique annoncée par le président hier soir est le déploiement prévu de 4.000 soldats américains supplémentaires dans la province d'Anbar, épicentre de l'activité d'Al-Qaïda.

Cela est dû, en partie, au fait que, selon nous, les efforts que nous déployons auprès des dirigeants locaux, en particulier auprès des cheikhs d'Anbar, commencent à porter leurs fruits. C'est ainsi, par exemple, qu'ils ont recruté dans leurs propres rangs 1.100 jeunes hommes qui ont été envoyés en stage de formation en Jordanie. Et ces fils d'Anbar, comme ils les appellent, reviendront pour contribuer à la lutte contre Al-Qaïda. Donc je tiens à le souligner, nous sommes résolument axés sur la nécessité de rétablir le contrôle à Bagdad, mais nous sommes aussi résolument axés sur la nécessité de renforcer les capacités des administrations locales et provinciales et d'être en mesure de leur fournir une assistance économique et une aide à la reconstruction.

Permettez-moi enfin de parler un peu de notre stratégie diplomatique régionale. À l'évidence, l'Irak occupe actuellement une place centrale dans les efforts de l'Amérique au Moyen-Orient, centrale pour notre crédibilité, centrale pour les perspectives de stabilité, centrale pour le rôle que nos amis et alliés et que les voisins de l'Irak joueront au Moyen-Orient. Mais nous devons fonder notre stratégie régionale sur les réalités du Moyen-Orient qui ont considérablement évolué, d'un Moyen-Orient très différent, d'un Moyen-Orient où il y a réellement un nouvel alignement de forces.

Il y a d'un côté les réformateurs et les dirigeants responsables qui s'attachent à progresser pacifiquement, politiquement et diplomatiquement dans le sens de leurs intérêts. Et il y a de l'autre côté des extrémistes de toutes les sectes et de toutes les ethnies qui recourent à la violence pour semer le chaos, pour saper l'autorité des pouvoirs publics démocratiques et pour imposer un ordre du jour de haine et d'intolérance. D'un côté de la ligne de partage se trouvent les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite et les autres pays du Golfe, l'Égypte, la Jordanie, les jeunes démocraties que sont le Liban, les Territoires palestiniens dirigés par Mahmoud Abbas et l'Irak, et de l'autre côté de cette ligne de partage, l'Iran, la Syrie et le Hezbollah et le Hamas. Et nous devons comprendre, je crois, qu'il y a là un clivage fondamental. L'Iran et la Syrie ont fait leur choix et ce choix est de déstabiliser, pas de stabiliser.

Et donc, avec tout le respect dû à ceux qui parlent d'engagement avec la Syrie et l'Iran, je crois que nous devons reconnaître que si l'Iran et la Syrie veulent jouer un rôle stabilisateur dans leur propre intérêt, ils le feront. En revanche, s'ils entendent proposer de jouer un rôle stabilisateur parce qu'ils croient que dans la situation où nous nous trouvons en Irak nous sommes disposés à en payer le prix, ce n'est pas de la diplomatie mais de l'extorsion. Et je me contenterai de vous demander quel serait ce prix.

J'ai peine à croire que l'Iran nous parlera d'une part de la stabilisation de l'Irak et nous dira, oh, à propos, nous ne parlerons pas de ce que vous faites au Conseil de sécurité pour arrêter notre programme nucléaire : cela ne fait pas partie du prix. Ou que la Syrie parlera de stabiliser l'Irak tout en continuant de le déstabiliser et dira, oh, cela ne nous intéresse pas de parler du fait que nous ne sommes pas..., que nous n'avons pas accepté la perte de notre influence au Liban ou l'existence d'un tribunal pour juger les auteurs de l'assassinat de Rafik Hariri. Il y aura très certainement un double jeu convergent : les activités de déstabilisation en Irak et le désir de ces États de nous faire payer un prix que nous ne pouvons pas payer.

Nous avons effectivement une approche régionale. Elle consiste à œuvrer avec les régimes qui partagent nos vues sur l'évolution souhaitable du Moyen-Orient. Elle consiste aussi à œuvrer avec ces régimes de manière à ce que cela puisse appuyer la nouvelle démocratie irakienne. Elle consiste à appuyer la diplomatie tout à fait normale que l'Irak pourra engager avec tous ses voisins et à conclure un pacte international qui sera une entente entre la communauté internationale et l'Irak pour fournir des appuis aux réformes irakiennes, réformes économiques et, effectivement, certaines réformes politiques. Dans cette entente irakienne, la Syrie et l'Iran ont tous deux été présents et ils continueront de l'être.

Je conclurai simplement en disant que nous comprenons tous, dans le gouvernement Bush, qu'il n'y a pas de formule magique pour l'Irak, comme l'a noté la commission Baker-Hamilton. Je tiens à ce que vous compreniez que moi aussi, personnellement, je comprends et je sais le scepticisme qui l'on conçoit à l'égard de l'Irak et, en fait, le pessimisme de certains. Je tiens à ce que vous sachiez que je comprends et que je ressens la profonde douleur des Américains devant le sacrifice des leurs qui se poursuit, vies d'hommes et de femmes à jamais irremplaçables pour leur famille, ainsi que les préoccupations de nos concitoyens, hommes et femmes, qui sont encore exposés aux dangers, les membres de nos forces en uniforme ainsi que les civils qui se trouvent aussi sur la ligne de front, diplomates civils et personnel civil en poste dans des endroits tels que la province d'Anbar et Mossoul.

Cela dit, je sais aussi avec quel soin le président Bush et toute l'équipe de sécurité nationale ont examiné les options qui se présentent à nous, et je tiens à ce que vous compreniez que nous avons réellement examiné ces options. Le président a fait appel à des conseillers extérieurs ; il a demandé conseil au groupe d'étude Baker-Hamilton ; et bien sûr, il a examiné la politique avec ses conseillers, comme moi, qui sont là depuis le début et à qui incombe la responsabilité des succès et des échecs de cette politique, ainsi qu'avec de nouveaux conseillers, tels que le ministre de la défense, M. Gates, qui apporte des perspectives nouvelles.

Après tout ce processus, il est arrivé à la conclusion, à laquelle je souscris entièrement, que la tâche la plus urgente était à présent pour nous d'aider le gouvernement irakien, et je tiens à souligner « d'aider le gouvernement irakien » à rétablir la confiance et à assurer la population irakienne qu'il protègera, et qu'il est capable de le faire, tous ses citoyens, qu'ils soient sunnites, chiites, kurdes ou autres, et qu'il châtiera de manière équitable les auteurs de violences qui tuent des Irakiens innocents, quelle que soit leur secte, leur appartenance ethnique ou leur affiliation politique.

Nous croyons que le gouvernement irakien, qui n'a pas toujours été efficace, a toutes les raisons maintenant de comprendre les conséquences de l'inefficacité. Ce sont, après tout, les Irakiens qui sont venus nous trouver et qui nous ont dit qu'il fallait résoudre ce problème. Ils sont venus nous trouver et ils nous ont dit qu'ils prendraient les décisions nécessaires pour éviter les ingérences politiques dans les opérations militaires nécessaires pour faire face au problème de Bagdad. Ils sont venus nous trouver et ils nous ont dit que leur gouvernement ne pourrait pas survivre s'il ne pouvait pas rétablir l'ordre civil. Et ils ont donné l'assurance au président, et pas seulement le premier ministre Maliki mais aussi de nombreux dirigeants, qu'ils allaient faire cette fois des choix difficiles pour que les choses se fassent.

La situation en Irak est inacceptable, mais l'Irak est aussi, dans la conjoncture actuelle, un enjeu majeur pour notre nation. Il se manifeste, dans cette conjoncture, un désir national et un impératif national de ne pas échouer en Irak. Nous avons dans le passé, en tant que pays, fait face à des épreuves décisives et nous les avons surmontées quand nous les avons affrontées ensemble. Je tiens à vous assurer, comme le président l'a fait hier soir, de notre volonté de collaborer avec tous les Américains, ici tout particulièrement au Congrès avec les représentants du peuple américain, pour appliquer une stratégie qui nous permettra de réussir en Irak. C'est une stratégie dont le président estime qu'elle est la meilleure que nous puissions mettre en œuvre, et je vous demande de l'examiner soigneusement et de nous faire part de vos idées sur les améliorations à y apporter. Je n'ignore certes pas qu'elle ne réunira pas les suffrages de tous, mais je crois que nous sommes unis dans notre désir de voir l'Amérique réussir. Je vous remercie.

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