September 10, 2007

Ryan Crocker évalue la situation en Irak et ses implications pour les États-Unis

On trouvera ci-après des extraits de la déclaration liminaire que l'ambassadeur des États-Unis en Irak, M. Ryan Crocker, a faite le 10 septembre 2007, devant les membres de la commission sénatoriale des affaires étrangères et de la commission sénatoriale des services armés réunies pour cette occasion.

(Début des extraits)

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Mon intention aujourd'hui est de vous donner une évaluation de la situation politique, économique et diplomatique en Irak. Ce faisant, je ne minimiserai pas l'énormité des problèmes auxquels se heurtent les Irakiens, ni la complexité de la situation. Toutefois, j'ai l'intention de montrer qu'il est possible pour les États-Unis de voir leurs objectifs se réaliser en Irak et que les Irakiens sont capables de s'attaquer aux problèmes auxquels ils sont en proie à l'heure actuelle et de les résoudre. Un Irak démocratique où règne la sécurité et la stabilité et qui est en paix avec ses voisins est réalisable. À mon avis, la trajectoire cumulative de l'évolution de l'Irak sur les plans politique, économique et diplomatique va vers le haut, bien que la pente de cette ligne ne soit pas raide. Le processus ne sera pas rapide ; il sera inégal, parsemé de revers ainsi que de réalisations, et il exigera une détermination et un engagement importants de la part des États-Unis. Il n'y aura pas un seul moment où nous pourrons crier victoire ; il est probable qu'on pourra dire seulement après coup qu'un tournant a été décisif.

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L'Irak connaît une révolution, et non pas seulement un changement de régime. Ce n'est que si l'on comprend cela que l'on pourra juger ce qui se passe en Irak et ce que les Irakiens ont réalisé, ainsi que continuer de faire preuve de réalisme pour ce qui est des problèmes restants.

Le contexte

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Il a fallu construire un nouvel Irak presque à partir de rien, et les constructeurs dans la plupart des cas étaient eux-mêmes réduits à leur identité la plus fondamentale, ethnique ou confessionnelle. On a fait beaucoup de progrès, en particulier dans la mise en place d'un cadre institutionnel là où il n'y en avait pas auparavant. Toutefois, au lieu d'être une période où les Irakiens ont pu surmonter les anciennes animosités et les anciens soupçons, les dix-huit derniers mois en particulier ont mis encore plus à l'épreuve la société irakienne. La violence entre les chiites et les sunnites en 2006 et au début de 2007 a son origine dans la « déconstruction sociale » de Saddam Hussein et elle a eu des conséquences désastreuses pour la population irakienne ainsi pour la politique du pays. Les déplacements de grande ampleur et le grand nombre de massacres commis par Al-Qaïda et par d'autres groupes d'extrémistes ont rongé le tissu social déjà râpé de la société irakienne et de la vie politique du pays. Il ne s'agit pas d'une exagération si l'on dit que l'Irak est une société traumatisée et qui le restera pendant un certain temps.

La vie politique au niveau national

C'est dans ce cadre qu'il convient de considérer ce qui se passe en Irak. Les Irakiens se heurtent à certains des problèmes les plus graves en matière de politique, d'économie et de sécurité que l'on puisse imaginer. Ils ne se débattent pas simplement avec la question de savoir qui gouverne l'Irak, mais ils se demandent quelle sorte de pays l'Irak va être, comment il sera gouverné et comment les Irakiens se partageront le pouvoir et les ressources du pays. La Constitution qu'ils ont adoptée lors d'un référendum organisé en 2005 répond à certaines de ces questions en théorie, mais beaucoup de choses restent incertaines sur le plan tant juridique que pratique.

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Notre pays (…) en est arrivé à considérer que la réalisation de progrès en ce qui concerne la réconciliation nationale exige l'adoption de grands textes de loi. C'est là quelque chose de logique étant donné que les textes de loi que nous exhortons les Irakiens à élaborer, d'une manière ou d'une autre, ont trait à la question de savoir comment il convient de partager le pouvoir et les ressources entre les nombreux groupes d'Irakiens. Ces textes de loi ont aussi à voir avec la conception du futur État irakien. Par exemple, les textes de loi relatifs au pétrole et aux recettes pétrolières ont trait à des questions plus importantes que le fait de savoir simplement si les habitants des zones productrices de pétrole sont disposés à partager leurs richesses avec les autres Irakiens. La difficulté pour ce qui est des textes de loi relatifs au pétrole est qu'elles orientent davantage l'Irak sur la voie menant à un régime fédéral que tous les Irakiens n'ont pas encore accepté. Toutefois, une fois de plus, on observe que même en l'absence de textes de loi il y a du changement sur le plan pratique, car le gouvernement central partage avec les provinces du pays les recettes pétrolières au moyen de crédits budgétaires calculés équitablement.

À de nombreux égards, les débats qui ont lieu actuellement en Irak sont semblables à ceux relatifs à notre mouvement des droits civiques et à la lutte sur les droits des États fédérés. Avec la « débaassification », les Irakiens s'efforcent de s'accommoder à un passé marqué par la brutalité.

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Je suis convaincu que les dirigeants irakiens ont la volonté de s'attaquer aux problèmes pressants du pays, même si cela prendra plus longtemps que nous l'avions pensé du fait de l'environnement et de la gravité de ces problèmes. Le premier ministre, M. al-Maliki, et les autres dirigeants irakiens se heurtent à des obstacles énormes alors qu'ils s'efforcent de gouverner avec efficacité. Ils entreprennent cette tâche avec un sentiment profond de responsabilité et de patriotisme. Une partie importante de ce jugement positif tient à l'effort qu'ils ont fait cet été. Après des semaines de travaux préparatoires et de nombreuses journées d'entretiens intensifs, les cinq responsables nationaux les plus importants des trois grandes communautés de l'Irak ont diffusé le 26 août un communiqué annonçant leur accord sur un projet de loi relatif à la « débaassification » et aux pouvoirs des provinces. Cet accord ne résoud en aucune façon tous les problèmes de l'Irak. Toutefois, l'engagement de ces responsables d'œuvrer de concert au sujet de dossiers difficiles est encourageant.

Fait peut-être le plus important, ces cinq dirigeants irakiens ont décidé ensemble d'exprimer publiquement leur désir commun d'établir des relations de longue durée avec les États-Unis.

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La vie politique au niveau provincial et local

Au niveau des provinces, les progrès politiques sont plus prononcés, en particulier dans les parties nord et ouest du pays où l'amélioration en matière de sécurité a été considérable dans certains endroits. De nombreux faits montrent que dans ces endroits les progrès dans le domaine de la sécurité ont ouvert la porte à une vie politique importante.

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Une des grandes tâches des Irakiens consiste maintenant à relier ces faits positifs dans les provinces à l'action du gouvernement central à Bagdad. Contrairement à nos États fédérés, les provinces irakiennes sont peu en mesure de percevoir des impôts, ce qui les rend tributaires du gouvernement central sur le plan financier. La capacité croissante des provinces d'élaborer un budget et de l'adopter ainsi que la disposition du gouvernement central à leur donner des ressources constitue une réussite.

Economie et renforcement des moyens

L'Irak commence à progresser au plan économique. L'amélioration de la sécurité encourage la résurgence des marchés en plein air auxquels participent activement les collectivités locales. Les dégâts de la guerre sont déblayés et les bâtiments remis en état ; les routes et les égouts sont reconstruits et le commerce connaît un regain d'énergie.

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Il n'en demeure pas moins que, dans l'ensemble, l'économie irakienne est loin d'atteindre son plein potentiel. L'insécurité qui prévaut dans les campagnes fait monter les coûts des transports et ce sont surtout les secteurs manufacturier et agricole qui en subissent les conséquences. Dans bien des régions du pays, la fourniture d'électricité s'est améliorée, mais elle est terriblement inadéquate à Bagdad. Les services nationaux de fourniture d'électricité n'assurent l'alimentation de nombreux quartiers de la ville que pendant une paire d'heures par jour, voire moins, mais la fourniture d'électricité permettant d'assurer les services essentiels, tels que stations de pompage d'eau et hôpitaux, s'est nettement améliorée.

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Dynamique régionale et internationale

L'engagement international et régional s'accroît en Irak. En août, à l'invitation de l'Irak, le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé de proroger le mandat de la Mission d'assistance des Nations unies pour l'Irak (MANUI) en vertu de la résolution 1770 du Conseil de sécurité. Les travaux concernant le contrat international pour l'Irak progressent sous les auspices de l'Irak et de l'ONU. Lors de la conférence ministérielle qui s'est tenue en mai, 74 pays se sont engagés à appuyer les initiatives visant la réforme économique en Irak.

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Un grand nombre de voisins de l'Irak savent qu'ils ont un enjeu dans l'issue qui sera donnée au conflit actuel en Irak et ont des rapports constructifs avec ce pays. La conférence ministérielle de mai a été suivie par des réunions de groupes de travail portant sur la sécurité, les questions ayant trait aux frontières et l'énergie. Une réunion au niveau des ambassadeurs vient d'avoir lieu à Bagdad et une autre conférence des ministres des pays voisins de l'Irak se tiendra en Octobre à Istanbul.

Toutes ces activités ont encouragé un rapprochement entre ces pays. Pour la première fois depuis de nombreuses années, l'Irak exporte du pétrole par le biais de son voisin la Turquie, et aussi par le biais du golfe Persique. L'Irak et le Koweït mettent la dernière touche à un accord commercial portant sur la fourniture par le Koweït de diesel à son voisin du nord. La Jordanie s'est récemment réjouie d'un communiqué publié par les dirigeants irakiens et a affirmé son appui aux initiatives visant la réconciliation mises en œuvre par l'Irak. L'Arabie saoudite, quant à elle, prévoit d'ouvrir une ambassade à Bagdad, la première depuis la chute de Saddam Hussein.

Le rôle que joue la Syrie est plus problématique. D'un côté, la Syrie a organisé une réunion du groupe de travail sur la sécurité des frontières et intercepté des terroristes étrangers s'apprêtant à entrer en Irak ; de l'autre, des kamikazes continuent à passer la frontière entre l'Irak et la Syrie pour tuer des civils irakiens.

L'Iran joue un rôle néfaste en Irak. S'il prétend appuyer la transition par laquelle passe l'Irak, l'Iran la mine sérieusement en donnant aux ennemis de l'État irakien les moyens de commettre des actes meurtriers. En se livrant à de telles actions, le gouvernement iranien semble ignorer les risques que l'instabilité en Irak lui fait encourir.

Se tourner vers l'avenir

2006 a été une mauvaise année en Irak. La situation du pays aux plans politique, économique et de la sécurité a failli se détériorer irrémédiablement. 2007 a apporté des améliorations. Il reste d'énormes défis à surmonter. Des questions fondamentales continuent à troubler les Irakiens, notamment sur la façon de partager le pouvoir, d'accepter leurs différences et de surmonter leur passé. Les changements apportés à notre stratégie en janvier - l'envoi de renforts - ont aidé à changer la dynamique en Irak pour le mieux. Du fait du renforcement de notre présence, des communautés assiégées ont eu le sentiment qu'elles pouvaient vaincre Al-Qaïda en coopérant avec nous. Les mesures que nous avons instituées pour renforcer la sécurité de la population font qu'il est bien plus difficile pour les terroristes de commettre des attaques. Nous avons donné aux Irakiens le temps et le recul pour réfléchir à la sorte de pays qu'ils souhaitaient. La plupart des Irakiens acceptent sincèrement que l'Irak soit une société aux ethnies et religions multiples, et c'est de l'équilibre du pouvoir qu'il reste encore à décider.

Au bout du compte, ce seront bien sûr les décisions que l'Irak prendra qui feront que ce pays atteindra ou non son potentiel. Lorsqu'il s'agit d'influencer une issue positive, l'implication et l'appui des États-Unis revêtiront cependant une énorme importance. Notre pays a donné beaucoup de sang et ce qui lui était le plus précieux pour stabiliser la situation en Irak et aider les Irakiens à bâtir les institutions sous-tendant un pays unifié et démocratique gouverné par la primauté du droit. La réalisation de cette vision exigera davantage de temps et de patience de la part des États-Unis.

Je ne puis garantir la réussite en Irak. Je pense certainement, comme je viens de l'indiquer, que c'est faisable. Je suis certain qu'abandonner nos efforts ou les réduire de façon drastique engendrera l'échec et il faut clairement comprendre les conséquences d'un tel échec. Si l'Irak devait tomber dans le chaos ou la guerre civile, les souffrances humaines seraient bien pires que celles que l'Irak a déjà connues. Ce pourrait être la voie ouverte à une intervention d'acteurs régionaux, des pays qui considèrent tous que leur avenir est étroitement lié à celui de l'Irak.

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Nous poursuivrons nos efforts afin d'aider les Irakiens alors qu'ils cherchent la réconciliation nationale, reconnaissant cependant que les progrès dans ce domaine peuvent prendre des formes diverses et que c'est aux Irakiens qu'il appartient finalement de les réaliser. Nous chercherons d'autres moyens de neutraliser les ingérences régionales et de renforcer l'appui offert aux plans régional et international. Nous aiderons aussi les Irakiens à consolider les développements positifs enregistrés aux niveau local et à se rapprocher du gouvernement national. Je m'attends enfin à ce que nous investissions bien plus d'efforts pour développer le partenariat stratégique entre les États-Unis et l'Irak, qui est un investissement dans l'avenir des deux pays.

(Fin des extraits)

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