212 VOYAGE AUX ANTILLES. J'avais reçu l'hospitalité, la cordiale et simple hospita- lité des colonies sur la belle habitation Gressier, à la Capeslerre; el après avoir suivi l'habile agronome, M. Joubert, à travers ses champs de cannes et ses grands bois, où les fougères ont cinquante pieds de haut ; après avoir visité les cases de ses nègres, où j'avais trouvé, tapissant les murs, les caricatures de Daumier, le portrait de M. Isambert et la collection du Journal des Modes, je m'étais lassé d'admirer ces orangers hauts comme des chênes et tout voilés de fleurs d'argent et de fruits d'or. Le sommeil, que la nature étrangement splendide et chaude des colonies rend court et léger aux Européens, était venu lente- ment, el il pouvait être quatre heures du matin, quand je fus réveillé par un bruit qui sérieusement m'ef- fraya. Le travail du moulin avait recommencé, les négresses prenaient à la grande pile des paquets de cannes qu'elles mettaient sous le cylindre ; et, comme c'est l'habitude constante des nègres, elles chantaient en travaillant. L'une d'elles, qui était le coryphée, entonnait les couplets successifs d'une romance im- provisée par elle-même à mesure qu'elle chantait, et les autres répétaient le refrain. Je ne comprenais pas encore bien la langue des nègres, mais j'entendais néanmoins qu'il s'agissait d'une jeune mulâtresse de