I.Eléments constitutifs de l'infraction

A.Usage des biens ou du crédit contraire à l'intérêt social

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Le délit vise les dirigeants qui, de mauvaise foi, ont fait des biens ou du crédit de la société un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement.

La Cour de cassation a précisé que l'usage abusif des biens ou du crédit de la société peut résulter non seulement d'une action, mais aussi d'une abstention volontaire du dirigeant (Cass. crim. 28 janvier 2004 n° 724 F-D, Caldara : RJDA 6/04 n° 721, 1e espèce).

L'emploi dans la loi de l'expression « usage contraire à l'intérêt de la société » pouvait laisser penser que le délit d'abus de biens implique nécessairement, pour être constitué, l'accomplissement d'un acte positif, ce, d'autant que la loi pénale est d'interprétation stricte (C. pén. art. 111-4). La Cour de cassation en décide autrement. Sur une critique de cette solution, voir D. Rebut, « L'abus de biens sociaux par abstention » : D. aff. 2005 p. 1290.

Sur la mauvaise foi du dirigeant en cas de négligence ou de défaut de surveillance de sa part, voir ( n° 33).

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La participation personnelle du prévenu à l'infraction doit être caractérisée, même en cas d'abstention. En effet, il faut que le dirigeant négligent ait participé à la réalisation de l'infraction car il est de principe que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait (C. pén. art. 121-1).

Ne suffit pas à caractériser cette participation personnelle le fait, par exemple :

  • - qu'un dirigeant ait « toujours su et couvert les agissements du directeur de la société, qu'il savait irréguliers, tout en refusant d'en être informé dans le détail » (Cass. crim. 20 mars 1997 n° 1562 D, M. le procureur général près la CA de Douai : Rev. sociétés 1997 p. 581 note B. Bouloc) ;

  • - que le président d'une SA ne se soit pas opposé au fait que le directeur général de la société ait fait acquérir par cette dernière un véhicule dont il s'était réservé l'usage puis le produit de la revente (Cass. crim. 7 septembre 2005 n° 4705 F-D, Van Pelt : RJDA 4/06 n° 420 ; Dr. sociétés 2005 comm. n° 228 note R. Salomon ; JCP E 2006 n° 1122 note J.-R. Robert).

En revanche, a participé à la réalisation de l'infraction le dirigeant qui, à la demande des gérants de fait associés assurant la gestion des agences de la société, a émis au nom de celle-ci des chèques sans indication de bénéficiaire, remis par la suite à ces associés puis encaissés par ceux-ci ou des membres de leur famille, sans jamais avoir cherché à opérer le moindre contrôle sur l'utilisation de ces chèques (Cass. crim. 14 décembre 2000 n° 7600 F-D, X : Bull. Joly 2001 p. 488 note P. Le Cannu).

1.Biens sociaux

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Sont compris dans la notion de biens sociaux les meubles (fonds sociaux, mobiliers, ou stock), les immeubles ou encore les biens incorporels (brevets, marques, etc).

Le bien en cause doit appartenir à la société ; néanmoins il n'est pas douteux que le délit se trouve également constitué lorsqu'un dirigeant fait d'un bien loué par la société un usage contraire à l'intérêt social. En effet, dans une telle situation, s'il n'a pas pour objet un bien social (puisque celui-ci n'appartient pas à la société), l'abus porte alors sur les loyers versés au bailleur, la société n'ayant pas retiré de contrepartie de leur paiement.

2.Crédit social

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Abuser du crédit social équivaut à engager la signature de la société en exposant celle-ci à des pertes d'actif éventuelles. Les opérations concernées n'emportent donc pas une perte immédiate, l'usage du crédit social pouvant être constitué même si, à terme, il ne conduit pas la société à enregistrer un décaissement.

L'usage abusif peut par exemple consister pour le dirigeant :

  • - à tirer des traites de complaisance sur la société (notamment Cass. crim. 16 mars 1970, Arnoux : JCP G 1971, II n° 16813) ; le cas échéant moyennant rémunération du dirigeant (Cass. crim. 16 février 1981 n° 80.92/526, Redon : Bull. Joly 1981 p. 361) ;

  • - à faire consentir par la société des sûretés réelles (hypothèques, gages) ou personnelles (cautionnement, aval) (Cass. crim. 12 juin 1978 n° 76-90.886, Baude) ;

  • - à garantir par un nantissement sur le fonds de commerce de la société, l'achat d'un immeuble à titre personnel (CA Paris 12 juin 1998, 9e ch. B., Min. pub. c/ Cayol et Garcia) ;

  • - à émettre sur le compte bancaire de la société un chèque, en vue de régler le prix des actions de celle-ci dont il s'était porté acquéreur, qu'il n'a pas pu faire encaisser pour des raisons indépendantes de sa volonté. En effet, en engageant ainsi la signature sociale, l'intéressé a exposé la société à payer le montant du chèque à la date de l'émission de celui-ci (Cass. crim. 5 décembre 2001 n° 7718 F-D, Guibert).

3.Intérêt social

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Il y a usage contraire à l'intérêt social non seulement lorsque le dirigeant porte atteinte au patrimoine de la société mais aussi lorsqu'il expose celui-ci à un risque de perte (notamment Cass. crim. 8 décembre 1971 n° 93.020/70, Delamette). C'est le cas notamment lorsque le dirigeant a fait confectionner des faux contrats pour justifier les sommes réclamées à la société et que les clauses exorbitantes de ces contrats passés au bénéfice de son beau-frère et de sa soeur caractérisent un usage des biens de la société qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci (Cass. crim. 5 janvier 2010 n° 09-83.693 (n° 10 F-D) : RJDA 5/10 n° 527).

Ne sont pas ici sanctionnées les fautes de gestion du dirigeant ; seul le caractère anormal du risque que le dirigeant a fait courir à l'actif social est répréhensible. En outre, il convient de se placer au jour de l'opération litigieuse pour apprécier la réalité du risque encouru (Cass. crim. 16 janvier 1989 n° 87-85.164, X. : BRDA 7/89 p. 9), quel qu'ait été le résultat de l'opération pour la société, bénéfique ou préjudiciable.

Quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l'objet social, car elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation (Cass. crim. 27 octobre 1997 n° 5593 PF, Carignon : RJDA 2/98 n° 179 ; dans le même sens : Cass. crim. 22 avril 1992 n° 90.85-125 PF, Carpaye : RJDA 11/92 n° 1025 ; Cass. crim. 14 mai 2003 n° 2610 FS-PF, Billon : RJDA 3/04 n° 322 ; Cass. crim. 10 mars 2004 n° 1445 FS-PF, Silve : RJDA 7/04 n° 841 , exemple de corruption d'un agent administratif par un dirigeant avec des fonds sociaux ; Cass. crim. 22 septembre 2004 n° 5241 F-D, Glérant : RJDA 10/05 n° 1120 ; Rev. sociétés 2005 p. 205 note B. Bouloc ; Cass. com. 21 juin 2005 n° 779 F-PB, Hirou ès qual. c/ Brouette : BRDA 17/05 inf. 7 où il a été jugé que la présentation au paiement, par le dirigent d'une société, de vingt-trois lettres de changes non causées tirées sur des tierces personnes non averties constitue une atteinte à l'intérêt social ; Cass. crim. 21 septembre 2005 n° 5028 F-D, Casetta : RJDA 12/05 n° 1358 , exemple de trafic d'influence d'un parti politique).

La Cour de cassation a ainsi abandonné sa jurisprudence selon laquelle le seul fait qu'une dépense sociale ait eu un objet illicite ne suffit pas à caractériser un usage contraire à l'intérêt social (Cass. crim. 6 février 1997 n° 750 PF, Mouillot : RJDA 2/97 n° 215).

A signaler toutefois un arrêt de la cour d'appel de Paris n'ayant pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation, qui, bien que rendu quelques semaines après l'arrêt « Carignon », s'inscrit dans le sens de la jurisprudence antérieure au revirement de la Cour suprême (CA Paris 3 décembre 1997 n° 97-2709, 9e ch. A, Casasola : RJDA 7/04 n° 841).

Il a été jugé que le versement de redevances effectué en exécution de convention de prestation de services (animation et assistance) par deux sociétés (A et B) appartenant à un groupe au profit d'une troisième (C) non comprise dans le périmètre de consolidation du groupe et dont le président des deux premières sociétés était, avec son fils, seul actionnaire, constitue un abus de biens sociaux (CA Versailles 30 juin 2005 n° 04-748, 9e ch., Lagardère : RJDA 11/05 n° 1238 ; Bull. Joly 2006 p. 54 note J.-F. Barbièri ; Dr. sociétés 2005 comm. n° 202 note R. Salomon, confirmé par Cass. crim. 25 octobre 2006 n° 5538 FS-PF, Lagardère : RJDA 2/07 n° 167, Dr. sociétés 2007 comm. n° 16, Rev. Lamy Droit des affaires décembre 2006 n° 606, Rev. sociétés 2007 p. 146 note B. Bouloc). En l'espèce, il a été jugé qu'en ayant fait payer ces redevances, le président avait fait des biens des sociétés A et B un usage contraire à leur intérêt social.

Dans le cadre de la gestion de la société, les dirigeants sociaux sont libres de choisir les contrats les plus adaptés pour permettre à une entreprise de bénéficier de locaux. Une réponse ministérielle du 5 mai 2009 a validé des montages juridiques consistant soit en une acquisition démembrée d'un bien immobilier, soit en la mise en location d'un bien immobilier, propriété d'une société civile immobilière, elle-même détenue majoritairement par le principal actionnaire de la société locataire. En effet, sous réserve de l'appréciation souveraine des juges du fonds, il ne semble pas que ces montages juridiques constitueraient en tant que tels des abus de biens sociaux. Si l'opération semble pouvoir être réalisée dans l'intérêt du dirigeant, elle n'est pas pour autant forcément contraire à l'intérêt social (Rép. min. : AN 5 mai 2009 p. 4356 n° 28171).

4.Applications

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Nous donnons ci-après des exemples d'actes contraires à l'intérêt de la société susceptibles de constituer un usage abusif des biens sociaux, étant précisé que cette liste n'est, bien entendu, qu'indicative.

Paiement par la société de dettes personnelles ou de dettes d'une autre société
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Le paiement par la société de dettes propres au dirigeant ou de dettes d'une autre société est abusif puisque totalement étranger à l'activité sociale.

Commet ainsi un abus des biens :

  • - le dirigeant qui a fait supporter par la société les amendes auxquelles il avait été condamné pour infractions aux dispositions du Code de la route, portant sur les conditions de mise en circulation et l'équipement des véhicules de l'entreprise (Cass. crim. 3 février 1992 n° 90-85.431 PF, Urano : RJDA 7/92 n° 709) ;

  • - le dirigeant d'une société qui a mis à la charge de la société l'exécution d'un contrat qu'il avait passé à titre personnel antérieurement à la création de celle-ci et dont il avait perçu et conservé une partie du prix, et qui effectue d'importants prélèvements sur les fonds sociaux (4 300 F par mois, soit environ 650 euros) sous le couvert de « frais de déplacement » (Cass. crim. 22 octobre 1991 n° 90-86.455 D : BRDA 1992/3 p. 10) ;

  • - le dirigeant qui a accepté de régler avec les fonds de sa société une somme d'argent (64 364 F, soit environ 9 800 euros) matérialisée par une fausse facture établie à l'ordre d'une société fictive et comptabilisée dans les livres de la société sous la rubrique « études pour la construction d'un garage », le délit étant constitué bien qu'il ne soit pas démontré que l'intéressé ait été l'auteur matériel de la fausse facture (Cass. crim. 19 octobre 1987 n° 85-94.605, Giraudo : Bull. crim. n° 353) ;

  • - le dirigeant qui a fait régler par la société les frais exposés pour sa défense au cours d'une instance introduite contre lui pour infraction à la législation sur les sociétés ; en l'espèce, les administrateurs avaient utilisé les fonds sociaux pour régler les honoraires de leurs avocats et des experts, alors que seule leur responsabilité personnelle était en cause (CA Amiens 11 juillet 1962 : Rev. soc. 1963 p. 295 ; Gaz. Pal. 1963 p. 438) ;

  • - le dirigeant qui a fait assumer à sa société la charge du recouvrement de créances douteuses cédées à celle-ci par une autre entreprise dans laquelle il avait des intérêts personnels (Cass. crim. 13 octobre 1986 n° 85.93/956, Sté Prover-France : BRDA 1986/22 p.17) ;

  • - le dirigeant qui a fait régler par la société le loyer et les charges de sa résidence, ses repas, les frais d'entretien de sa voiture et le salaire d'une personne qu'il employait dans le cadre d'une activité personnelle de promotion immobilière (Cass. crim. 9 novembre 1987, Laforge : Bull. Joly 1988 p. 92). Pour une illustration relative à des dépenses ayant eu pour but d'assurer le logement du dirigeant, et où la contrariété à l'intérêt social n'a pas été rapportée : Cass. crim. 24 octobre 1996 n° 95-85.683 D, Rappaport : Bull. Joly p. 201 ;

  • - le dirigeant qui, utilisant comme domicile une propriété appartenant à la société, a fait payer par celle-ci des travaux effectués dans cette propriété, ainsi que les salaires d'un gardien et de deux jardiniers (Cass. crim. 10 octobre 1983 n° 83-93.735 : BRDA 1983/24 p. 20) ;

  • - le président qui a fait effectuer par sa société d'importants travaux dans sa propriété personnelle et qu'il n'a pas réglés (CA Rouen 20 avril 1977 : BRDA 1977/20 p. 14) ;

  • - le dirigeant qui a fait supporter par sa société les frais d'installation d'un récepteur radio sur son véhicule personnel et la location durant sept jours d'un appartement dans une station de sports d'hiver pour permettre à sa femme d'y passer ses vacances (Cass. crim. 5 août 1978, Epoux Mallet : D. 1979 IR p. 119) ;

  • - le dirigeant qui fait prendre en charge par la société des dépenses personnelles (charges de sa résidence, frais d'entretien de sa voiture et salaire d'une employée de maison) et fait payer à son épouse un salaire pour la plus grande partie dépourvu de contrepartie (Cass. crim. 5 mai 1997 n° 96-81.482 PF, De Giovanni) ;

  • - le gérant et unique associé d'une EURL, personne morale dont les intérêts sont distincts de ce dernier, qui a utilisé à des fins personnelles le chéquier de la société en réglant la dépense résultant de l'engagement d'un détective privé pour surveiller sa femme (Cass. crim. 20 février 2002 n° 1217 F-PF, Aubes : Rev. sociétés 2002 p. 546 note B. Bouloc) ;

  • - le gérant de fait d'une société qui a accepté que celle-ci cautionne un prêt de 16 000 000 francs, consenti à titre personnel, par le Crédit agricole, à son épouse, et pour avoir accepté la création de comptes courants associés débiteurs dans les comptes (Cass. crim. 28 février 2007 n° 06-80.200 (n° 1438 F-D), Laurent : Dr. sociétés 2007 n° 121 note R. Salomon) ;

  • - le gérant qui fait régler par une société, sans contrepartie, des factures d'autres sociétés dans lesquelles il est intéressé, ou des factures correspondant à des prestations fictives de ces sociétés ; et qu'il a encaissé personnellement, notamment en vue de disposer d'une « cagnotte » des sommes dues à une de ces sociétés, en dehors de toute comptabilité (Cass. crim. 20 mars 2007 n° 05-85.253 (n° 1773 F-PFI), Simon : Dr. sociétés 2007 comm. n° 141, JCP E 2007 n° 1710).

Contrats désavantageux
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La contrariété à l'intérêt social est établie lorsque l'exécution d'un contrat passé par le dirigeant au nom de la société se révèle lésionnaire pour celle-ci ou lorsqu'elle n'en retire aucune contrepartie.

Ont été considérés comme tels les contrats suivants :

  • - le maintien de la location par un gérant d'une société à cette dernière de locaux de stockage dont il était propriétaire alors qu'elle était devenue inutile à la société, les locaux n'abritant plus de stocks, la majorité des livraisons étant effectuées à partir d'un site qui servait à stocker les marchandises commercialisées et présentait une surface d'exposition, les locaux loués étant quant à eux en grande partie désaffectés, en mauvais état et la surface d'exposition y étant inférieure à 100 m2 ; en outre, la location avait entraîné un coût important pour la société, aggravant sa situation déjà financièrement obérée (Cass. crim. 12 septembre 2001 n° 01-80.895 (n° 5578 F-D) : RJDA 01/02 n° 55) ;

  • - le fait pour un président d'avoir consenti, dans des conditions désavantageuses pour sa société, un bail commercial à une autre société dont son épouse était gérante (Cass. crim. 15 avril 1991 n° 90-84.880 : RJDA 7/91 n° 601) ;

  • - la location par une société civile immobilière à une SARL sans justification commerciale, de ses locaux, mettant ainsi à la charge de la SARL des loyers excessifs, et la privant corrélativement de tout fonds de roulement (Cass. crim. 30 septembre 1991 n° 90-83.965 : RJDA 1992/1 n° 44) ;

  • - la transmission à titre gratuit à une société civile immobilière de l'option détenue par une SARL sur l'achat d'un terrain communal, alors que cette option n'était pas dénuée de valeur et que son aliénation rendait impossible la réalisation d'un projet essentiel pour la SARL, qui avait été constituée en vue de la création d'une station de sports d'hiver sur ce terrain (Cass. crim. 19 octobre 1978 n° 77-92.742 : Bull. crim. n° 282) ;

  • - l'achat par une société, au prix de 10 F (soit 1,52 euros) le m2, de terrains appartenant à une autre société qui s'était engagée à les lui céder pour 0,20 F (soit 0,03 euros) le m2 (Cass. crim. 16 décembre 1975 n° 75-91.045 : Bull. crim. n° 279 ; Rev. soc. 1976 p. 353 note Guilberteau).

En revanche, jugé qu'un dirigeant n'avait pas commis d'abus de biens sociaux en ayant rémunéré un tiers à qui il avait fait appel pour aider la société à obtenir un crédit bancaire dès lors que, même si le crédit accordé n'avait pas été bénéfique à la société en raison du taux d'intérêt majoré pratiqué, le travail du tiers n'avait pas été fictif. En effet, ce travail avait consisté à trouver très rapidement et dans des conditions difficiles une banque disposée à consentir un crédit à la société. En outre, après avoir relevé que, si le rôle d'un intermédiaire semble toujours dérisoire après la conclusion d'une opération, il est souvent indispensable pour mettre en relation les parties, la cour a estimé que l'importance de la commission versée au tiers par la société (71 000 F environ, soit 10 800 € environ) ne constituait pas un élément suffisant pour caractériser le délit, d'autant qu'il n'était pas établi que le président avait eu un intérêt personnel à rémunérer le tiers pour des prestations fictives (CA Versailles 19 décembre 2001 n° 01-934, 9e ch, Alibert : RJDA 5/02 n° 508).

Confusion des patrimoines
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L'abus est caractérisé lorsque le dirigeant confond le patrimoine social avec son patrimoine propre (Cass. crim. 21 août 1991 n° 90-86.505 : RJDA 12/91 n° 1032 ; Cass. crim. 20 mars 2007 n° 05-85.253 (n° 1773 F-PFI) : RJDA 10/07 n° 978 précité au n° 20).

Ainsi, a commis un abus de biens :

  • - le dirigeant qui a encaissé sur son compte personnel des sommes revenant à la société (Cass. crim. 21 août 1991 précité) ;

  • - le dirigeant qui a effectué trois virements du compte social sur son compte personnel d'un montant global de 50 000 F (soit environ 7 600 euros), qui a tiré 35 chèques sur le compte de la société pour une somme totale de 42 056 F (soit environ 6 400 euros) et a fait des retraits d'espèces de 5 000 et 3 000 F (soit environ 760 et 460 euros), reconnaissant la matérialité des faits sans pouvoir fournir de justificatifs des frais qu'il soutient avoir avancé à la société ni avoir communiqué à aucun moment un décompte les explicitant (Cass. crim. 31 octobre 2000 n° 99-87.399 (n° 6519)) ;

  • - le président-directeur général qui a perçu à son seul profit les redevances provenant de la cession de brevets dont les dépenses de recherche et de mise au point avaient été supportées par la société (Cass. crim. 14 novembre 1973 n° 72-93.925 : Rev. soc. 1974 p. 550 note B. Bouloc : Bull. crim. n° 415) ;

  • - le dirigeant qui a conservé les fonds provenant de la vente d'une machine dont la société était propriétaire (Cass. crim. 28 novembre 1977 n° 75-92.339 : Bull. crim. n° 372) ;

  • - le directeur général dont certaines dépenses personnelles sont réglées directement par la société, même si elles sont répertoriées sur un compte courant et remboursées ultérieurement - mais sans intérêts - par le dirigeant (Cass. crim. 26 janvier 2011 n° 10-80.894 (n° 587 F-D) : Rev. sociétés 2011 p. 448 note B. Bouloc).

Rémunération excessive
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Est répréhensible l'octroi de rémunérations au dirigeant, dès lors que celles-ci apparaissent excessives eu égard à la situation financière et économique de la société, ou que le dirigeant n'a pas consacré à la société une activité réelle correspondant à leur montant (Cass. crim. 25 mai 1992 n° 91-83.541 : RJDA 11/92 n° 1026 ; Dr. pén. 1992 n° 292).

Il en est ainsi :

  • - du fait pour le président d'une société d'économie mixte d'avoir perçu, à titre d'indemnités et de remboursements de frais, des sommes qui correspondaient à des prestations en majorité fictives et donc manifestement excessives au regard de l'activité qu'il exerçait pour le compte de la société (Cass. crim. 12 décembre 1994 n° 94-80.155 : BRDA 1995/6 p. 4) ;

  • - du fait pour le président-directeur général de s'attribuer de son propre chef une rémunération qu'il savait excessive eu égard aux ressources et à la situation de la société, qui avait subi des pertes excédant trois fois le montant du capital (Cass. crim. 9 mai 1973 n° 72-93.501 : D. 1974 p. 271 note Bouloc ; voir aussi Cass. crim. 26 juin 1978 n° 77-92.833 : Bull. crim. n° 212 ; Cass. crim. 6 octobre 1980 : Rev. soc. 1981 p. 133 note Bouloc ; Cass. crim. 15 juillet 1981, Boudan : Bull. Joly 1981 p. 840 ; Cass. crim. 8 février 1988 n° 87-84.073) ;

  • - du fait pour un président de s'être fait payer par sa société des émoluments qui ne lui étaient pas dus, des frais de réception non justifiés ainsi que les frais d'un voyage en Afrique dont le caractère professionnel n'a pu être établi (Cass. crim. 6 novembre 1979 : D. 1980 IR p. 144) ;

  • - du fait pour un gérant d'avoir perçu un salaire de la société alors qu'il n'y exerce aucune activité et d'avoir fait payer par elle les primes d'assurance de sa voiture personnelle (Cass. crim. 21 juillet 1981 : BRDA 1981/21 p. 9) ;

  • - de la perception par le dirigeant de rémunérations fixes considérables malgré les problèmes financiers de plus en plus aigus que connaissait la société, dès lors que son absentéisme dans la société était patent et que les commissaires aux comptes avaient attribué la dégradation financière de la société à ces rémunérations (Cass. crim. 30 septembre 1991 n° 90-83.965 : RJDA 1/92 n° 44) ;

  • - de la perception par le dirigeant pendant les premiers mois d'activité de la société d'une somme de plus de 316 000 F (soit environ 48 000 euros), représentant 30 % de la marge bénéficiaire brute de l'entreprise, dès lors que cette rémunération, d'une part atteignait presque la moitié des frais généraux enregistrés pendant la même période et, d'autre part, était pour partie constituée d'avances sur commissions (40 000 ou 50 000 F (soit environ 6 100 ou 7 600 euros) par mois) dont le versement avait eu pour conséquence de priver de liquidités la trésorerie de la société (Cass. crim. 13 décembre 1988 n° 87-82.268) ;

  • - du fait pour le dirigeant de s'être attribué des rémunérations représentant respectivement 39 % des ressources totales dont a disposé la société, 41 % de son chiffre d'affaires hors taxes et 52 % de ses engagements à court terme (Cass. crim. 15 juillet 1981 : Bull. Joly 1981 p. 840) ;

  • - du fait pour le dirigeant de s'être attribué, de 1971 à 1974, des rémunérations et des avantages en nature dont le montant global avait atteint 772 460 F (soit environ 117 750 euros), alors que, depuis 1970, la société n'avait plus qu'une activité très réduite, ses recettes d'exploitation ne s'étant élevées pour l'ensemble de la période concernée qu'à 122 880 F (soit environ 18 700 euros), que les rémunérations n'avaient pu êtres versées que grâce à des emprunts générateurs de frais financiers importants que l'intéressé avait fait contracter par la société et que, même si le dirigeant avait déployé pendant cette période une activité non négligeable en vue de la réalisation de l'actif foncier de la société (réalisation qui a eu lieu en 1976 pour 25 millions de F (soit environ 3,8 millions d'euros)), les rémunérations étaient hors de proportion avec le travail réellement fourni et avaient été fixées en fonction d'un train de vie qu'il s'agissait de maintenir ; par suite, à concurrence de la moitié de leur montant, ces rémunérations constituaient des prélèvements opérés pour le seul avantage du dirigeant au détriment de l'intérêt social (Cass. crim. 6 octobre 1980 : Bull. Joly 1980 p. 515) ;

  • - du président qui perçoit plus de deux millions de francs (plus de 304 000 euros) par an alors que la société était confrontée à de graves difficultés financières, peu important l'approbation du conseil d'administration et l'absence de critique émise par l'expert-comptable, le commissaire aux comptes et les contrôleurs fiscaux (Cass. crim. 22 septembre 2004 n° 03-82.266 (n° 5242 F-D) , en l'espèce le dirigeant avait également émis des fausses factures pour augmenter artificiellement le chiffre d'affaires dont dépendait en partie sa rémunération et avait fait prendre en charge par la société le financement de contrats d'assurance personnels).

En revanche, aucun abus ne peut être reproché au dirigeant qui a perçu plus de 4 millions d'euros annuels dans sa dernière année d'activité, une indemnité de départ de près de 13 millions d'euros et une retraite complémentaire (dite retraite chapeau) annuelle de 2 150 000 euros. Ces rémunérations n'ont pas de caractère excessif dans une société cotée en bonne santé financière, le dirigeant ayant de surcroît joué un rôle majeur dans l'essor de l'entreprise. A noter que le dirigeant en question a tout de même fait l'objet d'une condamnation pour abus de pouvoirs (C. com. art. L 242-6, 4°), car il avait usé de l'influence liée à sa fonction pour faire valider par les instances sociétales une forte augmentation de sa rémunération juste avant son départ à la retraite (CA Versailles 19 mai 2011 n° 10-1523, 9e ch. corr. : RJDA 8-9/11 n° 712).

Compte courant débiteur
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Le fait pour le dirigeant de maintenir un découvert en compte courant est constitutif d'un abus de biens (notamment Cass. crim. 16 décembre 1985 n° 85.91/532, Schabaver : BRDA 1986/5 p. 9 ; Cass. crim. 27 avril 2000 n° 2664, Bajard ; Cass. crim. 31 mai 2006 n° 05-86.635, Christian X : Rev. sociétés 2007 p. 121 note B. Bouloc ; Cass. crim. 28 février 2007 n° 06-80.200 (n° 1438 F-D), Laurent également au n° 20).

Dans l'arrêt de 2000, l'argument du prévenu, selon lequel il s'agissait de remboursements de frais professionnels, n'a pu être en l'espèce retenu dès lors que l'expert a constaté que la méthode d'enregistrement des notes de frais ne permettait pas de le vérifier. Le caractère injustifié des prélèvements litigieux se trouvait conforté par la chute de leur montant après le départ du prévenu. Les prélèvements ainsi que l'important débit du compte courant établissait l'ex-gérant avait utilisé les fonds de la société comme s'il s'agissait de ses fonds propres, mettant ainsi gravement en péril la société qui s'était trouvée en état de cessation de paiement puis en redressement judiciaire cinq mois après sa démission.

Jugé que la régularisation a postériori d'un compte courant débiteur ne saurait enlever aux faits leur caractère délictueux (Cass. crim. 7 juin 2000 n° 3892, Gregory).

Utilisation des biens sociaux
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La simple utilisation des biens d'une société dans un intérêt personnel suffit à caractériser l'infraction, en dehors de toute volonté d'appropriation définitive (Cass. crim. 8 mars 1967 n° 93.757/65, Retout ; Cass. crim. 11 janvier 1968 n° 93.771/66, Meunier).

5. Société « mise en sommeil »

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L'utilisation des fonds d'une société, même si elle a cessé toute activité, à seule fin de permettre le fonctionnement d'une structure dépourvue de la personnalité morale est nécessairement contraire à l'intérêt social (Cass. crim. 19 octobre 2005 n° 5687 F-PF : RJDA 7/06 n° 792).

La « mise en sommeil » de la société n'équivaut pas à l'extinction de son objet et n'entraîne donc pas sa dissolution de plein droit. Sa personnalité ainsi que son patrimoine subsistent et toute atteinte à celui-ci peut être sanctionnée. Il ne faut pas déduire de l'arrêt ci-dessus que l'usage des fonds sociaux est nécessairement conforme à l'intérêt social dès lors qu'il profite à une entité dotée de la personnalité morale. Sur les conditions d'exonération de la responsabilité du dirigeant en raison de l'intérêt du groupe, voir ( n° 77 s.).

B. But personnel recherché par le dirigeant

1.Définition

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Les dirigeants doivent avoir agi « à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ».

Il faut toutefois rappeler que le dirigeant qui, par sa gestion de la société, favorise une entreprise dans laquelle il a un intérêt ne commet pas systématiquement un abus de bien social. Il faut que l'acte de gestion litigieux soit contraire à l'intérêt social (voir n° 18). Tel n'est pas le cas d'une convention d'assistance avec une autre société dans laquelle le dirigeant avait des intérêts propres, convention mise en place avant d'avoir obtenu l'aval du conseil d'administration mais susceptible d'ouvrir de nouveaux marchés à la société (Cass. crim. 25 janvier 2012 n° 11-81.474 (n° 669 F-D)).

Intérêt direct
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La chambre criminelle interprète de façon extensive la notion d'intérêt personnel du dirigeant ; en effet celui-ci peut être matériel, économique, professionnel ou moral et résulter notamment du souci d'entretenir de bonnes relations commerciales ou amicales avec un tiers (Cass. crim. 8 décembre 1971 n° 93.020/70, Delamette ; Cass. crim. 19 juin 1978 n° 77-92.750, Rougier).

Il en est de même de la recherche d'un prestige ou d'une notoriété, fût-elle politique (Cass. com. 20 mars 1997 n° 1562 D, M. le Procureur général près la cour d'appel de Douai). Dans cette affaire, l'arrêt de la cour d'appel a été cassé sur un autre moyen que celui visant le but recherché par le dirigeant. Il n'était pas établi en l'espèce que le dirigeant avait personnellement participé aux abus qui lui étaient reprochés. L'intérêt personnel peut résulter du souci d'obtenir de bonnes relations avec un tiers proche des sphères politiques (Cass. crim. 15 septembre 1999 n° 5178 D, Crasnianski : RJDA 1/00 n° 35 ; Cass. crim. 21 septembre 2005 n° 5028 F-D, Casetta : RJDA 12/05 n° 1358).

La Cour de cassation a précisé qu'il n'est pas exigé que l'utilisation abusive des biens sociaux ait eu lieu à des fins exclusivement personnelles pour que le délit soit constitué (Cass. crim. 14 mai 2003 n° 2610 FS-PF, Billon : RJDA 3/04 n° 322). Au cas particulier, le dirigeant poursuivi avait versé des fonds sociaux au président d'une association dans le but de s'attirer la reconnaissance de celui-ci en vue de bénéficier de son influence pour développer l'activité de la société. Ces circonstances, qui révélaient que le dirigeant désirait faire profiter la société de cette influence, étaient néanmoins suffisantes pour établir l'existence d'un intérêt personnel.

Il a également été jugé que le dirigeant poursuivait des « fins personnelles » dès lors que la cour avait relevé qu'il existait un lien entre le concours financier apporté aux dirigeants par l'intéressé (participation à une augmentation de capital financée par des emprunts) et le contrat de travail fictif octroyé à ce dernier (l'embauche pouvant être comprise comme la contrepartie de l'apport en capital et des emprunts contractés pour le financer) (Cass. crim. 28 mai 2003 n° 2905 FS-PFI, Procureur général près la cour d'appel de Besançon : Bull. Joly 2003 p. 1147 n° 238 note J.-F. Barbièri).

Pour d'autres exemples voir Cass. crim. 10 mars 2004 n° 1445 FS-PF, Silve : RJDA 7/04 n° 841 ; Cass. crim. 22 septembre 2004 n° 5242 F-D, Sté Sunn SA : RJDA 8-9/05 n° 992, 1e espèce ; Bull. Joly 2005 p. 45 note J.-F. Barbièri ; Rev. sociétés 2005 p. 200 note B. Bouloc ; Cass. crim. 22 septembre 2004 n° 5241 F-D, Glérant : RJDA 10/05 n° 1120 ; Rev. sociétés 2005 p. 205 note B. Bouloc ; Cass. crim. 25 octobre 2006 n° 5538 FS-PF, Lagardère : RJDA 2/07 n° 167, Dr. sociétés 2007 comm. n° 16, Rev. Lamy Droit des affaires décembre 2006 n° 606, Rev. sociétés 2007 p. 146 note B. Bouloc.

Dans une affaire où plusieurs prévenus comparaissaient pour abus de biens sociaux, complicité et recel, la chambre criminelle approuve la cour d'appel d'avoir établi les fait d'abus de biens sociaux dont l'un d'entre eux a été déclaré coupable lorsque des fonds prélevés de manière occulte par celui-ci ont appauvri la société et ont nécessairement été détournés dans son intérêt personnel dès lors qu'il n'est pas justifié qu'ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société (Cass. crim. 31 janvier 2007 n° 7642 FS-PF, Lethier).

Intérêt indirect
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La loi prévoit que l'intérêt du dirigeant d'une société peut être de favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est directement ou indirectement intéressé (C. com. art. L 241-3, 4° et L 242-6, 3°).

Cet intérêt est apprécié différemment par les tribunaux selon que les sociétés concernées sont liées entre elles ou non.

Ainsi, le délit se trouve caractérisé dès lors que le dirigeant de deux sociétés qui n'ont pas des intérêts complémentaires utilise indifféremment selon les opportunités du moment les biens de l'une au profit de l'autre et réciproquement, exposant ainsi par sa volonté frauduleuse l'actif de chaque société à des risques de pertes auxquels cet actif ne devrait pas être exposé (Cass. crim. 16 décembre 1975 n° 91.045/75, Levray : Bull. crim. n° 279).

2.Preuve

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C'est au ministère public qu'il incombe de prouver que les abus ont été commis dans l'intérêt personnel du dirigeant.

Jugé que ne met pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision au regard de l'article 437-3° de la loi de 1966 (devenu l'article L 242-6, 3° du Code de commerce), la cour d'appel qui, pour déclarer un dirigeant coupable d'abus de biens sociaux, ne recherche pas si l'intéressé a pris un intérêt personnel ou indirect dans le règlement de fausses factures dont la société qu'il dirige n'a pas tiré la moindre contrepartie (Cass. crim. 1er mars 2000 n° 98-86.353 n° (1672 PF)). La Cour de cassation a également censuré les juges du fonds au motif qu'ils n'ont pas recherché si le dirigeant avait pris un intérêt personnel, direct ou indirect, en employant fictivement un salarié (Cass. crim. 4 novembre 2004 n° 03-87.327 (n° 6236 FS-D) : RJDA 5/05 n° 577 ; JCP G 2005 n° 10051 note J.-H. Robert ; JCP E 2005 n° 527 note J.-H. Robert ; dans le même sens : Cass. crim. 5 mai 2004 n° 03-82.535 (n° 2774 F-D), Andrieu : Dr. sociétés 2004 comm. n° 157 obs. R. Salomon).

Toutefois, lorsque des fonds ont été prélevés de manière occulte, l'intérêt personnel du dirigeant est présumé et il lui appartient alors d'établir que les fonds ont été utilisés dans le seul intérêt de la société (Cass. crim. 11 janvier 1996 n° 95-81.776 (n° 177 PF) : RJDA 4/96 n° 508 ; Cass. crim. 20 juin 1996 n° 95-82.078 (n° 2841 PF) : RJDA 8-9/96 n° 1050 ; Cass. crim. 14 juin 2006 n° 05-85.912 (n° 3601 F-D) : Dr. sociétés 2006 comm. n° 152). La même présomption de l'intérêt personnel du dirigeant a été retenue lorsque les biens sociaux ont été cédés de manière occulte par ce dernier(Cass. crim. 24 septembre 2008 n° 08-80.872 (n° 5071 F-PF) : RJDA 4/09 n° 360).

Remarque : Cette solution repose sur la règle selon laquelle celui qui oppose une exception ou un moyen de défense doit en prouver la réalité (Cass. crim. 8 août 1990 : Bull. crim. n° 303). Elle n'est pas remise en cause par l'arrêt « Carignon » du 27 octobre 1997 (Cass. crim. 27 octobre 1997 n° 96-83.698 (n° 5593 PF) : RJDA 2/98 n° 179) qui porte sur la définition de l'intérêt social. En effet, dans cette affaire, l'utilisation des fonds n'était pas contestée par les parties : elles reconnaissaient les avoir utilisés pour commettre un délit, mais soutenaient que ce délit avait servi l'intérêt social, ce qui a été écarté par la Cour suprême. Il en va différemment dans les décisions citées ci-dessus où les dirigeants se bornaient à affirmer que les fonds occultes avaient servi l'intérêt de la société sans le démontrer. La question se pose alors de savoir en quoi doit consister cette preuve : suffit-il pour le dirigeant d'établir que les fonds ont été utilisés pour financer des actes qui ont contribué au développement ou au maintien du chiffre d'affaires ou faut-il que le prélèvement effectué ait eu pour but d'assurer la survie de la société ? Pour la chambre criminelle de la Cour de cassation (B. de Massiac, « Réflexions à propos de l'abus de biens sociaux » : RJDA 8-9/96 p. 723 n° 17), c'est la seconde option qui doit être retenue.

C.Mauvaise foi du dirigeant

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Le Code de commerce réprime les agissements des dirigeants qui, « de mauvaise foi », ont fait des biens de leur société un usage qu'ils « savent » contraire à l'intérêt de celle-ci.

L'intention frauduleuse des dirigeants est un élément constitutif de l'infraction à défaut duquel celle-ci ne saurait être caractérisée (Cass. crim. 19 décembre 1973 n° 73-90.224).

Un dirigeant est considéré comme étant de mauvaise foi lorsqu'il a conscience du préjudice qu'il cause ou du risque qu'il fait courir à la société (notamment Cass. crim. 16 mai 1983 : Bull. Joly 1983 p. 740).

En cas de complicité d'abus de biens sociaux, les juges doivent également rechercher la mauvaise foi du prévenu. Ainsi, pour établir les faits de complicité, les juges relèvent que le prévenu « homme d'affaires rompu aux règles du commerce international », connaissait le caractère frauduleux des opérations auxquelles il prêtait son concours par l'intermédiaire de sociétés qu'il dirigeait, et qu'il ne pouvait croire que les commissions majorées devaient bénéficier à la société (Cass. crim. 31 janvier 2007 n° 02-85.089 et 05-82.671 (n° 7642 FS-PF)).

Illustrations
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La mauvaise foi est le plus souvent déduite des circonstances dans lesquelles l'abus a été commis et du comportement même du dirigeant. Ainsi, a naturellement conscience du caractère abusif de son acte le dirigeant qui s'octroie une rémunération exagérée au moment où la société est en difficulté ou qui se livre à une circulation d'effets de complaisance pour des opérations personnelles.

De même, la mauvaise foi se déduit nécessairement de la clandestinité des opérations menées par le dirigeant poursuivi (Cass. crim. 15 mai 1974 n° 91.989/73, Simonnet).

Toutefois, lorsque les actes incriminés relèvent de la gestion courante de la société et ne sont pas par nature révélateurs de l'intention frauduleuse du dirigeant, celle-ci doit être caractérisée au cas par cas.

Jugé, par exemple, que n'était pas de mauvaise foi le président d'une société anonyme qui avait créé une société de publicité à laquelle la SA versait des sommes plus de deux fois supérieures à celles normalement facturées : en effet, si ces avances comportaient des risques apparaissant contraires aux intérêts de la société, il n'était établi que le dirigeant en ait eu réellement conscience (et ait donc agi de mauvaise foi), le but poursuivi étant la mise en place d'un organisme de publicité devant assurer de « substantielles économies par la pratique de prix préférentiels » (Cass. crim. 26 mai 1986 n° 85-95.293 : BRDA 1986/14 p. 20).

33

La négligence ou le défaut de surveillance de la part des dirigeants révèlent leur mauvaise foi dès lors qu'ils ont connu les agissements délictueux qu'ils pouvaient empêcher (Cass. crim. 19 décembre 1973).

Ainsi, n'est pas de mauvaise foi le gérant d'une SARL qui a tout ignoré des conditions dans lesquelles le dirigeant de fait de la société s'était procuré des disponibilités occultes en se faisant délivrer de fausses factures (Cass. crim. 19 décembre 1973, précité).

Sur la nécessité de caractériser la participation personnelle du dirigeant à l'infraction, voir ( n° 14).

2. Circonstances non exonératoires

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L'assentiment de l'assemblée des associés - qu'il soit antérieur à l'opération incriminée (autorisation) ou postérieur à cette opération (quitus) - n'est pas de nature à faire disparaître le caractère délictueux de prélèvements abusifs de fonds sociaux (notamment Cass. crim. 8 mars 1967 n° 93.757/65, Retout ; Cass. crim. 30 septembre 1991 n° 90-83.965 D, Rivet : RJDA 1/92 n° 44).

De même, le dirigeant ne saurait invoquer :

  • - une compensation entre les sommes prélevées sur la société et celles qui lui seraient dues par cette société (notamment Cass. crim. 16 décembre 1975, n° 91.045/75, Robert ; Cass. crim. 21 août 1991 n° 90-86.505 D, Dijoux : RJDA 12/91 n° 1032) ;

  • - le fait qu'à tout moment son compte courant dans la société avait présenté un solde créditeur supérieur aux sommes qu'il s'était fait remettre irrégulièrement (Cass. crim. 28 octobre 1985 n° 85.90/601, Procureur général près la cour d'appel de Grenoble : BRDA 1986/7 p. 9) ;

  • - la restitution à la société des actifs détournés ou l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi (Cass. crim. 11 janvier 1968 n° 93.771/66, Meunier ; Cass. crim. 15 mai 1974 n° 91.989/73, Simonnet) ; dans le même sens, Cass. crim. 22 septembre 2004 n° 5242 F-D, Sté Sunn SA : RJDA 8-9/05 n° 992, 1e espèce ; Bull. Joly 2005 p. 45 note J.-F. Barbièri ; Rev. sociétés 2005 p. 200 note B. Bouloc qui décide que la régularisation ultérieure de prélèvements irréguliers n'enlève pas aux faits leur caractère délictueux ;

  • - le fait de ne pas avoir dissimulé les détournements de biens sociaux (Cass. crim. 8 mars 1967 n° 93.757/65, Retout) ;

Le dirigeant poursuivi ne peut donc pas s'exonérer en prétextant seulement avoir respecté la procédure relative aux conventions réglementées passées avec la société et avoir porté en comptabilité les détournements reprochés (Cass. crim. 16 décembre 1985 n° 85.91/532, Schabaver : BRDA 1986/5 p. 9), même s'il est préférable qu'il le fasse, pour ne pas avoir à prouver que les prélèvements ont été utilisés dans le seul intérêt de la société.

  • son incompétence, notamment en matière comptable (Cass. crim. 25 mai 1992 n° 91-83.541 D, Montalto : RJDA 11/92 n° 1026) ;

  • son éloignement des tâches comptables et administratives de la société (Cass. crim. 26 juin 1978 n° 77-92.833, Picard et Sereni) ;

  • - l'absence de réaction d'intervenants extérieurs (Cass. crim. 22 septembre 2004, précité) en l'espèce les actes délictueux n'avaient entraîné aucune critique de la part de l'expert-comptable, du commissaire aux comptes ni des contrôleurs fiscaux ;

  • - l'approbation donnée par le conseil d'administration à la perception d'une rémunération excessive (Cass. crim. 22 septembre 2004 n° 5242 F-D, précité) ;

  • - le respect de la procédure d'approbation des conventions réglementées (C. com. art. L 225-38 s.) par les sociétés victimes d'abus de biens sociaux du fait de versements effectués en exécution de ces conventions ne permet pas, à lui seul, d'écarter toute atteinte à l'intérêt social, d'autant que le président auteur du délit détenait tous les pouvoirs et qu'il était assuré du soutien inconditionnel de la majorité des principaux actionnaires notamment au conseil de surveillance. De plus, la très large majorité des votes aux assemblées générales de ces deux sociétés était exprimée par le président et les membres du management du groupe, porteurs de nombreux pouvoirs. En outre, les rapports spéciaux des commissaires aux comptes de ces sociétés sur les conventions litigieuses apparaissaient particulièrement laconiques, cette concision étant surprenante dès lors que l'existence même des conventions avait soulevé les critiques des autorités boursières deux ans après leur conclusion (CA Versailles 30 juin 2005 n° 04-748, 9e ch., Lagardère : RJDA 11/05 n° 1238 ; Bull. Joly 2006 p. 54 note J.-F. Barbièri ; Dr. sociétés 2005 comm. n° 202 note R. Salomon, confirmé par Cass. crim. 25 octobre 2006 n° 5538 FS-PF, Lagardère : RJDA 2/07 n° 167, Dr. sociétés 2007 comm. n° 16, Rev. Lamy Droit des affaires décembre 2006 n° 606, Rev. sociétés 2007 p. 146 note B. Bouloc).